jeudi 20 mai 2010

Nécrologie: l'éditeur Robert Laffont est mort


L'éditeur Robert Laffont est mort mercredi 19 mai 2010 à Paris à l'âge de 93 ans. Il était le dernier grand éditeur à avoir fondé sa maison avant la fin de la seconde guerre mondiale, en 1941. Considéré comme le "grand-père de l'édition française", il avait édité plus de dix mille titres, dont de très nombreux best-sellers (Exodus, Paris brûle-t-il?), et créé des collections prestigieuses comme "Pavillons" et "Bouquins", avec son complice Guy Schoeller.
Fils d'officier de marine, Robert Laffont, né le 30 novembre 1916 à Marseille en France, licencié en droit et diplômé de l'Ecole des hautes études commerciales, commence sans conviction une carrière d'avocat avant de se lancer dans l'édition à 25 ans. Il fonde sa maison dans sa ville natale et publie « Œdipe roi » de Sophocle, son premier titre. Puis son catalogue s'étoffe rapidement avec Gilbert Cesbron, Graham Greene, Henry James, John Le Carré, John Steinbeck, Bernard Clavel… Il introduit en France des méthodes inspirées des Etats-Unis, aujourd'hui largement répandues, telles que études de marché, lancement de best-sellers.
A l'occasion de la publication de ses Mémoires, « Une si longue quête », en 2005, il avait reçu "Le Monde des livres". Il défendait alors fermement son choix de publier des livres à grand succès. "Quand j'ai commencé à publier, le mot "best-seller" n'existait pas en France. J'allais souvent à New York. J'en suis revenu avec une collection de best-sellers, justement", expliquait-il alors. "Je crois que j'ai dépoussiéré l'édition parce que j'ai ouvert des voies", affirmait-il en vantant son choix de publier de la littérature populaire à un moment où le monde de l'édition l'ignorait. En 1977, il achète le Quid. En 1986, l'éditeur abandonne la présidence de sa maison. Les éditions Robert Laffont sont absorbées, en 1999, par les Presses de la Cité. En 2004, Robert Laffont prend sa retraite définitive
, demeurant néanmoins président d'honneur de sa maison.
Marié quatre fois, Robert Laffont avait cinq enfants. Il avait aussi publié souvenirs et Mémoires : « Robert Laffont, éditeur » (1974), « Léger étonnement avant le saut » (1996), « Une si longue quête » (2005).
Le Monde.fr, avec AFP

dimanche 16 mai 2010

Patrimoine: Le Cameroun célèbre ses musées



La Journée internationale des musées se célèbre le 18 mai prochain, sous le thème « Musées pour l’harmonie sociale ».

A cette occasion, le Conseil international des musées, section du Cameroun, a organisé une conférence de presse samedi dernier à Yaoundé, pour parler des articulations de la célébration de cet évènement au Cameroun. Le programme prévoit une table ronde ce lundi, à partir de 10h, à la Fondation Tandem Muna à Yaoundé. Il sera question de parler du patrimoine immatériel du Cameroun, du partenariat entre le musées et l’école, de la relation entre les entreprises culturelles et le public, la conquête du public par les musées et, enfin, la présentation d’une ville africaine que l’on compare à un musée à ciel ouvert, Lumumbashi. D’après l’Icom/Cameroun qui est présidé par Joseph Marie Essomba, il existe 28 musées au Cameroun, tous types confondus : communautaires, privés, publics, ethnographiques…

Musique: Francis Mbappe chante pour la paix


Le bassiste camerounais qui vit aux États-Unis est en séjour au Cameroun


« Peace is freedom », entendez « La paix est liberté », c’est le titre de cet album de 10 titres que vient de mettre sur le marché le bassiste Francis Mbappe (sur la photo avec Manu Dibango). En séjour au Cameroun, il l’a présenté à la presse, hier à Yaoundé, en présence d’une bonne palette d’artistes tels Manu Dibango, Vincent Nguini, Jean Dikoto Mandengue, Queen Eteme, Emile Kangue... Cet album est un mélange de genres musicaux, parmi lesquels le funk, le jazz, le rock et la world africaine. Francis Mbappe a travaillé sur cet album avec, entre autres, Gino Sitson, David Gilmore, Kaissa Doumbe, Malika Zarra… Produit et arrangé par sa maison de production FM Groove, il est distribué par Culture Mboa et coûte 3500Fcfa. Né à Douala, Francis Mbappe a travaillé de 1982 à 1990 avec Manu Dibango en France. En 1995, il s’installe à New York aux Etats-Unis, où il vit et travaille depuis. Il est l’auteur de trois albums, dont « Meet somebody » et « Celebrations ».

jeudi 13 mai 2010

Jean Kamta : « Il faut que l’Etat nous aide à organiser notre profession »


Conseiller à l’Association des photographes indépendants du Cameroun (Apic), il parle des problèmes de leur corporation, à l’occasion d’un séminaire de formation organisé à Yaoundé.

Vous avez organisé, le 3 et 4 mai derniers à Yaoundé, un séminaire de formation des photographes. Pour quel objectif ?
Nous, photographes, en qualité d’auxiliaires de la presse, avons voulu nous retrouver pour commémorer la Journée internationale de la presse, en organisant un séminaire de formation de photographes. Ceci parce que nous avons constaté que beaucoup de nos collègues ne savent pas ce qu’est la photographie professionnelle. Il était donc question que nous qui avons plus l’expérience dans le métier leur entretenions sur les rouages du métier. Le séminaire portait sur l’art photographique, le droit d’auteur photographique et le droit à l’image. Nous avons eu, entre autres intervenants, le Pca de la Scaap, le Dr Christophe Seuna, titulaire de la Chaire Unesco et Martin Oba Nyatte, qui est enseignant de photographie et audiovisuel au Cfpa de la Crtv. C’est un séminaire qui a donné des notions concrètes de photographie aux participants.
Quel est l’état de la photographie au Cameroun ?
De nos jours, le photographe ne vit plus de son art, du moins pour ceux qui ont des studios photos. Le photographe professionnel n’a plus de travail. Prenez l’exemple des demi-photos qui sont fait dans des commissariats, à la police des frontières, où encore des organes de presse où les journalistes prennent eux-mêmes des photos… c’est un manque à gagner énorme pour nous. Sur le plan de la formation, nous n’avons pas encore, au Cameroun, d’école de formation. Aussi, les photographes sont-ils formés sur le tas. Sur le plan de la technique, les choses battent encore de l’aile. On navigue entre l’appareil photo manuel et le numérique qui, il faut le souligner, coûte cher pour le photographe camerounais. Cependant, il est important de dire que ce n’est pas l’appareil qui fait la photo, mais c’est son utilisation. Un appareil peut ne pas être performant mais faire des photos parlantes. Par ailleurs, les problèmes des photographes professionnels sont nombreux : les gens ne respectent pas les photographes à leur juste valeur, nous sommes méprisés, incompris. Les photographes eux-mêmes sont quelque peu ignorants.
Aujourd’hui, l’appareil photo s’est démocratisé, au point où beaucoup de gens en possèdent un. Finalement, qui est photographe et qui ne l’est pas ?
C’est un fourre-tout. C’est pourquoi l’Apic demande au gouvernement de nous aider à organiser notre métier. Cela devra passer par l’établissement d’un fichier national des photographes qui sera reconnu par l’Etat. A partir de ce fichier, des badges professionnels seront établis, ce qui permettra de décanter la profession. Tout le monde se passe pour un photographe, même avec un téléphone portable.
Quel est l’avenir de la photographie au Cameroun ?
L’avenir, comme dans tout métier auquel on croit, est prometteur. Il y a une nouvelle génération de photographes qui aspirent au professionnalisme, pour laisser des images d’aujourd’hui aux prochaines générations.
Quels sont les missions de l’Apic ?
L’association des photographes indépendants du Cameroun est ouverte à tout photographe. Créée en 2009, elle compte actuellement 60 membres. L’Apic a pour mission de défendre les intérêts de notre corporation. Nous avons aussi l’ambition de créer une boutique photographique où des photographes pourraient acheter leur matériel à une somme modique.

Agenda du week-end

Vendredi, 14 mai

Yaoundé
Théâtre : « La marche en avant ». La pièce sera représentée à 19h au palais des sports, dans le cadre des activités organisées pour commémorer le cinquantenaire de l’indépendance.
Cinéma : « Indigène » de Rachid Bouchared (photo) sera projeté à 14h30 au Ccf. Réalisé en 2006, il raconte le parcours de quatre soldats de la première armée française recruté en Afrique en 1943. La projection sera suivie d’un débat.
Semaine culturelle d’Espagne. 19h : concert du groupe musical Fran Molina jazz-flamenco groupe au Centre culturel français. Entrée libre.

Samedi, 15 mai

Douala
Cinéma : « Les yeux sans visages », 16h au Ccf. Le film de Georges Franju (1960, 1h25) raconte l’histoire d’un célèbre chirurgien esthétique qui veut greffer un visage à sa fille défigurée dans un accident de voiture dont il est le responsable…
Concert: Dave King, 19h, Ccf. Ancien du groupe Sans visa, Dave king va chanter des morceaux tirés de son album, « Divine », qui porte un regard interrogateur sur la société.

Yaoundé
Défilé de mode, 19h au Ccf. Les stylistes Joëlle Choupa et Charlotte Mbatsogo présentent leurs nouvelles collections, sous le thème de la transition.
Musique : concert géant à 20h au palais des sports, dans le cadre de la célébration des cinquantenaires.

note de lecture: voyage au pays des merveilles

Dans son 1er recueil de nouvelles, Aimé Mathurin Moussy raconte des histoires surréalistes pour décrier les tares de la société camerounaise.

Le titre, « Le sorcier d’Obala », le laissait déjà présager. Sorcellerie, cannibalisme, homosexualité et autres étrangetés de la nature sont au rendez-vous dans ce recueil de nouvelles que vient de publier le journaliste de 43 ans, Aimé Mathurin Moussy, aux éditions l’Harmattan. Le livre de 171 pages nous plonge dans un monde fantastique, mystérieux et merveilleux digne d’Alice. Non pas celui en 3D du réalisateur américain Tim Burton, mais plutôt celui, original, de Lewiss Caroll.
La nouvelle « Iles perdues » est la plus surréaliste de toutes. Son personnage principal, Angouan, se retrouve dans une île perdue après un accident dont il est le seul survivant. Les habitants de cette terre, qui se font appelés les Bakokos, sont laids et effrayants: ils ont des yeux globuleux, mangent la chair humaine et boivent le sang des animaux. Depuis toujours, ils sont en guerre avec un autre peuple bizarre : les biafrais. Au cours d’une guerre, Angouang est poursuivi par un Biafrais, qui se révèle être Satan. Rattrapé, il découvre « un secret qu’aucun humain ne devrait chercher à connaître ».
« Le sorcier d’obala », ce n’est pas que des histoires abracadabrantes ou tristes. C’est aussi des histoires que l’auteur raconte avec beaucoup d’humour et de dérision. Que ce soit les épopées du dernier catéchiste d’Ozazip, grand coureur de prostituées devant l’Eternel ; les mensonges de cette reine du Nord qui veut rencontrer l’âme sœur sur Internet ; les réclames des vendeurs du marché Lagos ou encore ces habitants de Bamenda qui adressent de longs chapelets de remerciements au chef de l’Etat, car l’un des leur a gagné la loterie.
Les nouvelles d’Aimé Mathurin Moussy, si elles n’ont pas la même qualité, se suivent à un rythme effréné qui ne laisse aucun répit au lecteur. On y retrouve les voyages de l’auteur qui a parcouru le Cameroun de long en large, et un vocabulaire diversifié. On peut toutefois regretter le fait que certaines nouvelles n’ont pas d’intrigue, les sujets restent vagues, la narration trop rapide et le message flou. Il faut se donner la peine de lire chaque texte par deux fois pour en comprendre tout le sens, rendu complexe par la brume de mystérieux dans lequel les textes sont plongés, pour, enfin, avoir une autre lecture du monde dans lequel nous vivons.

Musique : Le groupe Zangalewa trouve un accord avec Shakira

Au cours d’une conférence de presse qu’ils ont donné mardi dernier à Douala, les membres du groupe Zangalewa ont parlé de la reprise de leur chanson par l’artiste colombienne Shakira. Ils sont notamment affirmés avoir trouvé un accord avec sa maison de production, Sony.
Cette reprise a été retenue par la Fifa comme la chanson officielle pour la Coupe du Monde 2010. Le manager de Zangalewa, Didier Edo, explique que les procédures visant à restituer les droits d’auteurs sont en cours, et que « les choses vont plutôt dans la bonne voie ». Sans toutefois révélé de chiffres. « Les termes de l’accord sont confidentiels », a-t-il souligné. Le groupe Golden sounds, plus connu sous l’appellation Zangalewa, a été créé en 1984. En 1986, ils sortent leur premier album, qui va rester célèbre : Zangalewa, qui signifie « qui t’a appelé ? »

mercredi 12 mai 2010

Cameroun : Le forum 237 médias suspendu pour 48h

L’administrateur a pris cette décision à la suite de joutes verbales entre journalistes.

L’administrateur du forum des journalistes camerounais, 237 medias, a décidé, lundi soir, de suspendre cet espace pour 48h. « Je suis désolé de devoir en arriver là mais les 350 autres membres comprendront que huit membres ne doivent pas détruire ce forum. Compte tenu de ce qui se passe, je me sens obligé de réagir pour que les esprits se calment un peu, et sauvegarder la pérennité du forum », explique Yannick Nino Njopkou.

Ces derniers jours, plusieurs journalistes se sont servis du forum pour s’échanger de véritables joutes verbales. C’est le cas de Jean-Baptiste Ketchateng, Jean Marc Soboth ou encore Christophe Bobiokono. Illustration : « Qu’est-ce que tu as eu à faire de bon dans ra vie ? Rien. Quelle initiative personnelle as-tu entreprise ? Aucune » ; « on l’a juste confiné au rôle ingrat d’insulteur invétéré par courriel et il n’a pu hériter que de strapontins, compte tenu de son comportement acariâtre »…

Le forum 237 medias a été crée en mars 2009 par Yannick Nino, un passionné d’informatique qui vit en France, pour être un espace de dialogue, de partage d’informations et de discussions sur les problématiques de l’exercice du journalisme au Cameroun. Mais certains journalistes qui animent régulièrement le débat se sont éloignés de cette noble mission. Excès de langage, invectives et insultes sont devenu leur quotidien. L’on comprend dès lors que l’administrateur ait décidé de frapper du poing sur la table.

mardi 11 mai 2010

Portrait: Passionné Barthélémy Toguo

Plasticien extrémiste, politiquement engagé, grande gueule… Le Camerounais vit et travaille entre Paris et Bandjoun. Exposé dans le monde entier, il est le prototype de ces artistes africains reconnus à l’étranger mais méconnus dans leurs pays. Il y a quelques années, il a entrepris un retour aux sources.
 
Barthélemy Toguo

Tous les artistes sont passionnés, les grands artistes sont encore plus passionnés que les autres, entend-t-on souvent dire dans le monde de l’art. La vie de Barthélémy Toguo est une longue histoire de passion. Cette passion, il la met dans chacune de ses œuvres, dans chacun de ses projets. On le cite parmi les créateurs africains les plus importants de ces dix dernières années, aux côtés de l’Ivoirien Frédéric Bruly-Bouabré, du Congolais Chéri Samba, du Nigérian Sunday Jack Akpan, du Centrafricain Ernest Weangaï ou encore du Camerounais Pascale Marthine Tayou. Il est de ces artistes qu’on dit extrémistes ou jusqu’auboutistes. Car il défend ses idées sans concession, de la manière la plus radicale, allant parfois jusqu’à se mettre volontairement en danger.
 
Il est doté d’une énergie extraordinaire et parle avec l’assurance de quelqu’un qui en veut. Artiste au franc parler, il a fait couler beaucoup d’encre et de salive lorsqu’en 2007, il refuse de cautionner le « pavillon africain » de la Biennale de Venise. Pour lui, l’Occident n’a pas à ghettoïser un type d’œuvres dans des termes aussi réducteurs qu’art nègre, art africain, art tribal, art premier. Il y a l’art, simplement l’art. La première chose qui frappe lorsqu’on le rencontre, ce sont les trois grosses bagues en argent qu’il porte à sa main droite. Des bagues surmontées de têtes de mort, comme pour souligner la finitude inexorable de la vie.
 
On le dit artiste provocateur. Il a réalisé, il y a quelques années, une série de dessins décolorés à l’encre, qu’il a baptisé « Têtes de diables ». Comme Thomas Hobbes, plusieurs siècles avant lui, Toguo pense que « l’homme est un loup pour l’homme ». Il explique que « peindre des têtes humaines avec des cornes c’est montrer comment l’homme peut agir face à son prochain, pour, enfin, interpeller notre société ». Il est de ces rares artistes camerounais prisés sur la scène internationale mais qu’on connaît très peu au Cameroun. Sur plus de 150 expositions individuelles et collectives qu’il compte à son actif, trois seulement ont été réalisées dans notre pays, notamment à l’Institut Goethe en 1996, 1998 et 2002.
 
Né à Mbalmayo en 1967, Barthélémy Toguo vit et travaille aujourd’hui entre Paris et Bandjoun. Fils d’un chauffeur de minibus et d’une ménagère, il est très tôt attiré par le dessin. Alors qu’il fait sa classe de seconde à Edéa, il découvre les œuvres des peintres français Titien et de l’espagnol Goya. Elles le captivent à tel point qu’il décide de consacrer sa vie à faire de l’art plastique. Sa mère pousse de hauts cris, son père prend cela pour un coup de poignard dans le dos, d’autant plus que le jeune Barthélémy Toguo est son seul garçon et qu’il rêve de le voir fonctionnaire. Mais le jeune homme a une volonté de fer : il ne cèdera pas à la pression familiale. A la fin de ses études secondaires, il bénéficie d’une bourse d’études du gouvernement pour entrer à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. De 1989 à 1993, il y apprend la sculpture. De 1993 à 1996, Barthélémy Toguo poursuit sa formation à l’Ecole supérieure d’arts de Grenoble en France, où il découvre la photo et la vidéo. Puis, il va parachever sa formation à la Kunstakamadie de Düsseldorf en Allemagne.
 
La vie et ses ressentis
Son travail évolue au fur et à mesure de sa formation et se nourrit de ses voyages de ses expériences. Artiste touche-à-tout, Barthélémy Toguo refuse de se laisser enfermer dans une technique et utilise aussi bien la peinture, la sculpture, le dessin, la photographie, la vidéo, l’installation que la performance et les collages. Chez lui, certains éléments ou motifs sont récurrents. C’est le cas des fines lignes qui entourent le sujet humain dans ses œuvres graphiques ; c’est aussi le cas de l’as de trèfles (représente la chance dans la voyance) que l’on retrouve aux quatre angles de ses aquarelles, comme s’il en était hanté. Très sensible aux émotions, à la douleur et surtout à la souffrance d’autrui, il s’inspire abondamment de « la vie et de ses ressentis », qu’il traduit souvent dans ses performances. « Je suis un artiste plasticien qui est très sensible à ce qui se passe dans la vie d’aujourd’hui ; un artiste polyvalent qui donne la parole aux gens en leur demandant de s’exprimer sur ce qui se passe, un artiste qui est au cœur de nos vies, un artiste qui est au cœur des préoccupations quotidiennes », soutient-il d’ailleurs.
 
En 1996, Barthélémy Toguo crée la série photographique intitulée « Une autre vie », dans laquelle il fait coexister des moments de sa vie avec des billes de bois. De 1996 à 1999, il réalise « Transit », une série de performances dans lesquelles il expérimente la discrimination dans des zones de passage, comme les aéroports et les gares. Dans ce cadre, il sculpte de lourds tampons de bois surdimensionnés sur lesquels il imprime les messages : « Transit sans arrêt», « Périmé », etc. Paradoxe d’une société qui favorise la libre circulation des biens mais entrave celle des personnes. Au comptoir d’embarquement de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulles en France, il se présente muni d’une cartouchière remplie de carambar (bonbon au caramel de huit centimètres de long, commercialisé par le groupe américain Kraft Foods). Et, dans un train reliant Paris à Cologne en Allemagne, il prend place dans un wagon de première classe habillé en éboueur, suscitant le malaise chez les voyageurs et risquant de se faire jeter dehors par le contrôleur. En 1999, il crée la série d’aquarelles « Baptism », où il aborde le thème des rituels pratiqués à l’Ouest du Cameroun. Il a parfois offert au public des variations sanglantes célébrant le corps humain.
 
La politique n’est jamais loin
Barthélémy Toguo ne se contente pas de peindre les situations, il prend position et les dénonce. Chez lui, la politique n’est jamais loin. De 1997 à 2002, il réalise « Shock long-term treatment », dans lequel il fait du drapeau américain deux sacs destinés à recevoir les déchets des toilettes turques. A l’exposition « Political ecology » à New York en 2001, il lessive deux drapeaux américains. Il entend ainsi dénoncer le refus par les Etats-Unis de signer les accords de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre. Dans des troncs d’acacias, il sculpte de monumentales chaussures à talons hauts, en référence à des tenues de travestis (Folies nocturnes). Son grand humour opère lorsqu’il s’auto photographie en « Stupid African President », avec une tronçonneuse posée sur le sommet du crâne…
L’ensemble de son œuvre est lourd d’enseignement : il n’est plus aujourd’hui possible d’envisager le monde et l’art contemporain à travers des cultures autonomes.
 
Artiste diasporique, en exil, il les a dépassées pour prôner le transnationalisme, dans lequel il donne à voir un monde en perpétuel mouvement. Dans son œuvre « Road to exile » réalisée en 2008, Toguo dispose des ballots de tissus et de plastiques dans une barque de bois. Cette dernière symbolise les bateaux sur lesquels les jeunes Africains sont prêts à risquer leurs vies pour traverser la Méditerranée, afin de rejoindre les côtes européennes. La circulation des hommes tient une place prépondérante dans son travail. Le conservateur Jan-Erik Lundström le décrit dans le catalogue « The sick opera » (Palais de Tokyo, 2004) comme un « porte-parole des minorités, chroniqueur des périls inhérents au franchissement des frontières, observateur attentif au pouvoir et des absurdités du quotidien, conteur de la diaspora traduisant les cultures et renommant les identités noires-africaines.
 
Des projets à gogo
Barthélémy Toguo est actuellement associé à la manifestation d’art contemporain qui se déroule à Yaoundé, Douala et Bandjoun et est organisée par le Centre national des arts plastiques de France (Cnap), à travers son Fonds national d’art contemporain (Fnac), et à l’invitation de l’ambassade de France à Yaoundé. A cet effet, Bandjoun station, le projet artistique qu’il a créé en 2008, accueille des journées porte-ouvertes, sous le titre de « Passions », du 15 avril au 30 mai 2010. Les œuvres de Toguo figurent dans la collection du Fnac, et il est représenté en France par la galerie Anne de Villepoix. Toujours entre deux avions, l’artiste devra présenter, du 7 mai au 10 juillet 2010 à la Biennale de Dakar sa nouvelle performance « Lamentations » ; du 7 août au 29 juillet 2010, « Lyrics night » au Musée royal de Bandjoun. Du 18 au 30 septembre, il installera « Liberty leading the people » à la Gulbenkian foundation de Lisbonne au Portugal… Son agenda, pour l’année 2010, est déjà arrêté et bien rempli.
 
Barthélémy Toguo est marié et père de trois filles. Son père est décédé en 1992, sa mère vit toujours à Mbalmayo. Même si elle ne voit pas souvent son fils trop occupé à courir le monde avec ses œuvres, « elle est fière de moi, parce qu’elle estime que j’ai réussi », dit-il. Qu’il est loin le temps où Toguo se demandait si, avec le métier qu’il a choisi, il pourra s’acheter un Kg de riz pour se nourrir ! Son travail a obtenu de la reconnaissance sur la scène internationale de l’art contemporain, et il en vit assez aisément, même s’il déclare ne pas être riche. « Je ne fais que commencer l’art. C’est un métier à double face. Du jour au lendemain, on peut passer de in à out, votre travail peut ne plus intéresser les gens. Il ne faut jamais dire qu’on a réussit », met-il cependant en garde.


Acquis
Un centre d’art contemporain est né à Bandjoun
Créé en 2008 par Barthélémy Toguo, Banjoun station devra accueillir des expositions et des créateurs en résidence.
 
 
Au lieu dit « Entrée Fotso Victor » à Bandjoun, à trois Km de Bafoussam, deux bâtiments imposants s’élèvent et surplombent les cimes des arbres pour se donner à voir à des mètres à la ronde. Ce samedi, 17 avril 2010, des drapeaux flottent au vent : l’orangé de Bandjoun station, le bleu-blanc-rouge français et le vert-rouge-jaune camerounais.
 
Construites sur 630 m2, les deux bâtisses ont des murs recouverts de mosaïques rehaussées d’emblèmes issus de l’univers graphique de Barthélémy Toguo, le promoteur : une pomme de main, un as de trèfle, un œil, une poule, une calebasse… Le premier bâtiment de quatre étages (25m de hauteur) abrite le centre d’art proprement dit, constitué d’un atelier/studio, d’un espace bibliothèque. Dans le hall qui servira de salle de lecture au rez-de-chaussée, des graines sèches d’arachide ont été versées autour d’un grand poteau en béton armé, et les visiteurs peuvent se servir à loisir.
 
Cette arachide est le fuit du projet agricole qu’à lancé Barthélémy Toguo, à côté de son projet artistique. Au deuxième niveau, une passerelle vitrée permet la circulation entre les deux étages. Le second bâtiment dispose de 12 logements et d’une salle à manger, où l’artiste envisage d’accueillir des artistes en résidence de création. Une salle au sous-sol est réservée aux projections et aux rencontres.
 
Barthélémy Toguo ne s’est pas contenté de ce projet artistique. Il a lancé, il y a quelques années, un projet agricole sur une surface de trois hectares à Bandjoun. Il y cultive du maïs, de l’arachide, du café, de la banane/plantain… « Ce volet d'intégration environnementale et d'expérimentation sociale se veut un exemple pour la jeunesse locale, afin de créer des liens dynamiques et équitables entre le collectif d’artistes associés au projet et leurs hôtes, et démontrer qu’il faut croire aussi à l'agriculture pour atteindre notre autosuffisance alimentaire. C’est, enfin, un acte politique fort où notre collectif fécondera une pépinière caféière, un acte critique qui amplifie l'acte artistique et dénonce ce que Léopold Sédar Senghor appelait "la détérioration des termes de l'échange", où les prix à l'export imposés par l'Occident pénalisent et appauvrissent durablement nos agriculteurs du Sud », explique-t-il sur le site Internet du projet, http://www.bandjounstation.com/. Sur le coût de ce projet, Barthélémy Toguo choisit de rester évasif : « Je l’ai construit au fur et à mesure que j’ai gagné un centime dans le champ de l’art. C’est un projet fou d’un artisan ».
 
Pourquoi réaliser un tel projet à Bandjoun ? Barthélémy Toguo répond qu’il y disposait déjà d’un terrain, hérité de son défunt père, qui y a d’ailleurs été inhumé. Il explique aussi qu’il n’a pas voulu prendre le risque d’acheter un terrain à Yaoundé ou à Douala, où il aurait eu 80% de chances d’être dupé : « Il y a trop de faux ici au Cameroun. C’est à cause de la malhonnêteté de certains de nos compatriotes que j’ai voulu rester sur un terrain où je suis sûr d’être propriétaire». Deux ans après sa création, Bandjoun station n’est pas encore officiellement ouvert, même si le centre abrite déjà, de temps en temps, des manifestations d’art.


Libres propos
« La diaspora africaine devrait se soucier davantage de son lieu d’origine »


"En créant Bandjoun station, j’ai estimé qu’après 10 ans de formation artistique, je devais redonner ma formation à l’Afrique. Avec l’argent gagné dans le champ de l’art, j’ai voulu créer un lieu pour donner l’occasion aux jeunes qui ont du talent de faire de l’art. L’Afrique a besoin de moi, il faut que je donne mes compétences. C’est un appel que je lance à la diaspora africaine dans tous les domaines : scientifique, culturel, agronome, sportif… pour qu’elle consacre quelques heures par semaine à l’Afrique. C’est un geste de générosité que je demande. Pas de retourner en Afrique, mais de l’aider avec tout ce qu’on a appris. La diaspora africaine devrait se soucier davantage de son lieu d’origine. Nous nous devons de transmettre nos acquis. Le fil ne doit pas être rompu. L’Afrique est dans la demande et le besoin.
 
J’ai fait très peu d’expositions au Cameroun parce qu’il y a peu d’espace pour montrer l’art contemporain ici, et aussi, je n’ai pas été sollicité pour montrer mon travail. Je ne viens pas au Cameroun pour me faire de l’argent. Pour développer l’art contemporain au Cameroun, il faut créer des revues qui parlent des travaux des artistes. Il faut aussi que l’Afrique ait la volonté politique de créer des espaces d’exposition, de créer des maisons de culture comme André Malraux l’a fait en France. Il est possible de le faire dans les dix provinces du Cameroun. Et là, les artistes, riches ou pauvres, auront l’occasion de montrer leurs travaux. Et quand il y aura ces lieux-là, il faudrait que la médiatisation soit assurée.
 
Je pense, en tant qu'artiste, qu'il faut que je prenne des engagements. Je ne peux pas rester indifférent à toutes ces guerres et ces misères. En même temps, je ne veux pas être un donneur de leçons, c'est juste un regard sur notre société. C'est un fait qui est réel, c'est comme l'absence de la démocratie dans certains pays, c'est comme cette fuite des cerveaux, c'est comme cette immigration. C'est un fait qui est réel, l'artiste utilise ces ressources-là pour faire son travail.
 
Un artiste peut bien vivre à Maputo et faire un travail très créatif et très pertinent. Le problème, c'est plutôt la diffusion sur le continent africain. S'il y avait des structures, s'il y avait des lieux aussi qui pouvaient être une vitrine déjà sur le continent et diffuser à l’étranger le travail de ceux qui sont restés en Afrique, on pouvait arriver à éviter cette immigration vers l'Occident. J'ai créé un centre d'art qui sera une vitrine pour montrer le travail des artistes du continent et du monde à partir de l'Afrique. Que Berlin, New York, Paris ou Londres ne soient pas que les seules plaques de visibilité de l'art contemporain. Il faut que les Africains eux-mêmes ne capitulent pas".

Dossier réalisé par Stéphanie Dongmo

Cinquantenaire: l'art plastique célèbre l'indépendance

Le festival d’arts plastiques « Couleurs et toiles du cinquantenaire » s’est ouvert hier à Douala, sous le thème «Cinquante ans d’indépendance». Une soixantaine de toiles d’artistes congolais, gabonais, centrafricains et camerounais sont visibles dans les locaux du Cercle municipal de Bonanjo. Des toiles de l’exposition s’inspirent des ouvrages «Les peintres du fleuve », « Les peintres de l’estuaire », « Couleurs et toiles », écrits par Nicolas Bisseck, par ailleurs parrain de l’exposition. Jeudi, 13 mai prochain, le programme prévoit un dîner-spectacle au St John’s Plazza avec X-Maleya et Major Asse, entre autres, de même que des défilés de mode. Les modèles de vêtements qui devront refléter l’âme afro contemporaine sont inspirés de toiles. Chaque tableau accompagnera le modèle correspondant.

Kiosque: Paul Biya, Rémy ze Meka et l'Epervier

Le n°2574 de Jeune Afrique présente les limites de la lutte contre la corruption au Cameroun.

La une du magazine Jeune Afrique rappelle étrangement un panneau publicitaire qui, il y a quelques années, était visible dans les rues de Yaoundé et vantait l’efficacité d’une marque de détergent. On y voit, sur un fond bleu, une caricature de Paul Biya vêtu d’un tee-shirt éclatant de blancheur. Ses bras de déménageur sont croisés sur la poitrine, son regard est vif, son sourire malicieux. Le président de la République du Cameroun, présenté comme « Mr Propre », semble rajeuni et plus déterminé que jamais à balayer sa cour, dans le cadre de la lutte contre la corruption lancée en 2006.
La dernière proie de l’opération Epervier est l’ancien ministre de la Défense, Rémy Ze Meka, dit « Bad Boy ». Jeune Afrique écrit qu’il pèse sur lui «un soupçon de détournement lors d’une commande de deux hélicoptères de combat de fabrication française destinés à la lutte contre les pirates dans la zone de Bakassi (…) L’argent ne serait jamais parvenu au fournisseur ». Sur plus de 77 personnes impliquées dans le détournement de près de 215 milliards de Fcfa, le magazine propose un panorama de 18 visages : Haman Adama, Roger Ntongo Onguéné, Polycarpe Abah Abah, Alphonse Siyam Siwé … Même s’il n’a pas été cité dans l’article, Dieudonné Ambassa Zang, ancien ministre des Travaux publics, est bien présent dans ce panorama.
Jeune Afrique présente aussi les limites de cette opération d’épuration. « Le traitement de la corruption relève du règlement judiciaire personnalisé et de la sanction pénale. C’est une sorte de cure expiatoire (…) quasi religieux, spectaculaire et médiatique, mais qui ne s’accompagne pas d’un démantèlement des mécanismes profonds du mal, évite la question de la responsabilité éthique de l’Etat et n’implique donc pas une refondation politique», écrit François Soudan. Et d’ajouter, à propos de Paul Biya : « A un an ou presque de l’élection (présidentielles 2011), ce combat contre ceux qui ont trahi sa confiance lui donne une raison de rester au pouvoir et un programme de substitution face aux difficultés économiques et sociales, tout en maintenant ses dauphins putatifs sous pression ».
L’hebdomadaire ne fait pas de révélations sur l’opération Epervier. Il reste même assez vague sur l’affaire Rémy Ze Meka, mais garde le mérite de remettre à l’ordre du jour une affaire qui a été occultée dans l’actualité par le décès en prison du journaliste Bibi Ngota.
Stéphanie Dongmo

A votre avis: quel est le personnage de la littérature africaine qui vous a le plus marqué?

A l’occasion de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur célébré le 23 avril 2010, les écrivains camerounais parlent des héros des livres qui ont captivés leur attention. Plus bas, une interview qui définit un personnage littéraire.


Léonora Miano
«Elvis dans Graceland de Chris Abani »
 
 
J’ai beaucoup aimé « Graceland » (Picador, 2005, ndlr), le merveilleux roman du nigérian Chris Abani. Comment ne pas aimer un livre dans lequel on entend Sweet Mother, la chanson oubliée de Nico Mbarga… Le personnage principal est un adolescent nommé Elvis, dont on suit les tribulations intérieures, la lutte pour exister. Sa mère est morte d’un cancer. Son père a sombré dans l’alcoolisme et perdu sa situation. L’homme vit désormais dans les bas fonds de Lagos, entretenu par une femme qui, ayant d’autres enfants, ne se soucie pas d’Elvis. Pour vivre, le garçon se grime en Elvis Presley, et tente de survivre en dansant pour les touristes et expatriés occidentaux.
« Graceland » parle du lien brisé entre un fils et son père, qui ne parviennent pas à se rejoindre. Livré à lui-même, Elvis songe à sa mère, lit beaucoup, se laisse parfois embarquer dans des aventures rocambolesques par ses amis, jeunes et démunis comme lui, rêvant d’une autre vie. C’est un texte sur l’intimité des Subsahariens, modifiés par l’Histoire et devant s’inventer une manière propre d’exister, ce que cherche à faire Elvis. Le raffinement de la culture Ibo est célébré comme il se doit, mais les contradictions, les dilemmes de l’Afrique postcoloniale sont au cœur du texte. Les personnages, celui d’Elvis en particulier, sont travaillés avec une grande finesse, l’auteur s’attachant à restituer leur complexité. La fragilité d’Elvis, son sens artistique, son opiniâtreté à trouver son espace d’expression m’ont beaucoup touchée. Ce roman, tout comme « Half of a yellow sun » de la nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, devrait devenir un classique.
Note : Née en 1973 à Douala, Léonora Miano vit et travaille en France. Nouvelliste, elle est aussi l’auteure de quatre romans dont « Contours du jour qui vient » chez Plon, prix Goncourt des lycées en 2006.


Patrice Kayo
« Koumé de Ville cruelle lutte contre l’injustice »

Dans « Ville cruelle » de Mongo Beti, le personnage Koumé m’a beaucoup impressionné. C’est un jeune homme qui lutte contre les injustices sociales et l’exploitation du petit peuple par les commerçants grecs. Il se révolte et il va même jusqu’à tuer son patron grec qui ne payait pas les salaires des ouvriers et se contentait de donner, de temps en temps, un peu d’argent à l’Eglise. Et le prêtre, parlant de lui, l’appelait le saint homme. Cela montre la collusion entre le colonialisme et l’exploitation du petit peuple avec l’Eglise. Koumé incarne vraiment la jeunesse de l’époque, une jeunesse qui se révolte, qui refuse de se résigner, qui lutte pour la conquête de sa dignité, pour la justice sociale ; qui va jusqu’à tuer ce qui incarne cette injustice sociale.
Aujourd’hui, les personnages ne sont plus les mêmes mais sous la forme moderne, il y a toujours des gens qui exploitent le petit peuple, il y a aussi d’autres Koumé mais ils sont plus résignés, ils ne luttent plus beaucoup pour changer leur condition. Il n’y a plus de commerçants grecs mais il y a des commerçants autochtones qui font pire que les grecs : beaucoup de gens travaillent et n’ont pas de salaire ou sont mal payés. La situation, à mon sens, n’a pas changé. C’est pourquoi il faut qu’il y ait, en grand nombre, d’autres Koumé qui agissent ensemble pour abattre cette bourgeoisie qui est plus cruelle aujourd’hui qu’à l’époque coloniale.
Note : Né à Bandjoun en 1942, Patrice Kayo est anthologiste et poète. Il est l’auteur de « Recueil de la poésie populaire» en 1964, « Fables des montagnes » en 1998 et « Tout le long des saisons », recueil de nouvelles paru en 2001, entre autres.


Stella Engama
« L’araignée de René Philombe ose défier Dieu »
Sans réfléchir, je dirai René Philombe, l’un des écrivains de la littérature camerounaise les plus prolifiques, mort le 7 octobre 2001. Le personnage principal dans le livre intitulé « Nnan Nden Bobo », réédité par le Crac de David Ndachi Tagne, est une araignée.
Dans cette histoire, cette araignée ose défier Dieu-Créateur dans son pouvoir autoritaire de décider du sort de tout un chacun. L’araignée prend sur lui, au nom de tous les êtres vivants, de s’ériger en procureur de Dieu. J’ai vu la puissance du génie de Philombe quand l’araignée demande à Dieu au nom de quoi, de façon arbitraire, il fait naître une personne et décide de la faire périr, pourquoi il fait les uns beaux et les autres laids. Un jour, au cours d’une fête, l’araignée porte plainte à Dieu. Puisque Dieu ne peut pas être juge et partie, un jury est donc mis en place. Des personnes qui sont handicapées arrivent à tout de rôle et accusent Dieu de les avoir fait ainsi, en disant « C’est Dieu qui l’a voulu ». Au moment où les juges doivent prononcer la sentence contre Dieu, celui-ci décide que désormais, l’araignée n’aura plus de résidence fixe, il vivra en errance. C’est pourquoi on voit les araignées errer sur les murs des maisons.
Sur le plan symbolique, Réné Philombe trouve que Dieu est le plus grand dictateur. Il va s’attaquer à Dieu-créateur et à la parousie car, pour lui, Dieu a déjà jugé les hommes. Son conte est quelque peu anticlérical. Pendant l’époque coloniale, il a d’ailleurs été interdit par les missionnaires. Il me fait penser au livre « En attendant le vote des bêtes sauvages » d’Ahmadou Kourouma.
Note : Née à Yaoundé en 1955, Stella Engama est poète et romancière. Auteure entre autres de la trilogie « Une siècle d’agonie », elle est actuellement la présidente de l’association « Les amis de la littérature ».


Marie Claire Dati Sabze
« Merci à F. L. Oyono pour les chaussures de Meka ! »
Quel est ce livre que j’ai lu autant de fois avec le même plaisir que « Le vieux nègre et la médaille » (1957, ndlr) de Ferdinand Oyono? A Doum, les paysans dans leurs habitudes : le matin, on va derrière la case, on s’accroupit, une truie attend impatiemment... Meka entre et s’assoit chez la vendeuse d’arki et l’histoire commence : il a donné - peut-être pas bon gré - ses terres à la Mission catholique ; ses fils sont morts à la guerre aux côtés des Français ; le commandant Blanc l’a convoqué. Et qui dit que cet affrontement des intérêts des deux continents s’est arrêté aujourd’hui, 50 ans après les indépendances ? Les habitants de Doum n’ont pas de problème. Le Blanc est le seul problème.
Drôle et humain, notre Meka. Sa veste est trop longue, ses orteils sont retournés vers le ciel ! Pourquoi veut-on qu’il mette des chaussures ? On veut qu’il soit présentable, pour une fois dans sa vie. Et devant tous ses hôtes, il apprend à porter des chaussures, et à marcher avec ! Tout le monde aime Meka, moi aussi. Notre Meka sera à la hauteur : et de mettre du sable et de l’eau dans les chaussures pour les élargir, toute la nuit.
Et le lendemain, devant tous les siens et les Blancs, il est à l’honneur, pour le présent et la postérité… Oui mais s’il pouvait leur dire ! Ses pieds ! Qu’est ce qu’on a ri de Meka! Qu’est ce qu’il a souffert sous le soleil, Meka, pour finir en prison, la médaille, perdue bêtement! Merci, Ferdinand Oyono. A cause de ce livre palpitant, nous sommes heureux de ce que nous faisons tous les jours : nous t’appelons le Vieux Nègre. Avec notre cœur.
Note : Née à Edéa, Marie Claire Dati Sabze a écrit plusieurs recueils de poèmes dont « Les écarlates » (Sopecam, 1992), « Les caillots de vie » (Puf, 2001). Actuellement, elle poursuit sa carrière de traductrice en Egypte.

 
Jean-Claude Awono
« La Grande royale est un personnage de race »
Le personnage qui m'a le plus frappé dans mon expérience de la littérature africaine est La Grande Royale de Cheikh Hamidou Kane. Près de 50 ans après la publication de « L'Aventure ambiguë » (1961, Julliard), je n'ai rien perdu de mon admiration pour ce personnage de race que ni le temps, ni l'espace ne peuvent déconstruire, et qui participe du génie que le romancier sénégalais a eu de créer des personnages dont les noms relèvent d'une rare poésie: Maître Thierno, Samba Diallo, etc. La Grande Royale est, de tous, la plus impressionnante pour diverses raisons : la manière dont elle fait irruption dans le récit. Le premier trait qu'on découvre d'elle ce sont ses "deux bras puissants" ainsi que son "grand visage altier" qui font que le narrateur observe un arrêt sur trois pages et 25 phrases pour la décrire. Il y a ensuite ses atouts physiques et sa filiation.
Âgée de 60 ans, elle mesure 1m80 et est la sœur aînée du chef des Diallobé. Son autorité est telle que là où il fait preuve de compréhension, elle "tranche par voie d'autorité". Femme d'initiative, elle a des positions progressistes, fermes et lucides qui tranchent avec la posture conservatrice de l'ordre traditionnel. C'est elle qui prend la décision courageuse d'engager les Diallobé dans la voie de la modernisation qu'impose le monde nouveau apporté par l'Occident violent et impitoyable. Son "sermon" sur la place du village est l'un des plus grands discours jamais tenus par un personnage africain. Sa lucidité et son réalisme constituent des atouts dont nous devons aujourd'hui encore nous armer pour résoudre l'équation de notre inscription dans le monde actuel.
Note : Né à Sa’a en 1969, Jean-Claude Awono est poète, anthologiste et président de l’association La Ronde des poètes. Il est l’auteur de plusieurs recueils dont « A l’affût du matin rouge », paru en 2006 chez Clé.


Pabe Mongo
« Samba Diallo de Cheick Hamidou Kane »
Je dirai Samba Diallo, le personnage principal de « L’Aventure ambiguë » de Cheick Hamidou Kane. Il me marque pour au moins deux raisons : la première, c’est le moment où je le découvre. Je suis jeune, à l’âge je me je pose beaucoup de questions. Je suis en classe de terminale au collège La Retraite où la philosophie et la littérature font mariage, et les deux s’emparent du jeune homme que je suis. La seconde, le personnage de Samba Diallo est alors à l’image de ce que j’étais à l’époque. Il porte le rêve que nous avions tous : celui d’aller en Europe, d’acquérir des connaissances. Mais son aventure est ambiguë parce qu’à travers ses vicissitudes, qu’à un moment donné, il n’est plus tout à fait africain mais il ne peut jamais devenir totalement européen, un peu comme dit le proverbe : « Le tronc d’arbre a beau demeurer dans l’eau, il ne sera jamais crocodile ».
Cheik Hamidou Kane
C’est un roman initiatique où les deux maîtres autour de lui, cette Grande royale et ce professeur initiatique, se posent la question de savoir s’il faut vraiment envoyer leurs enfants à ces écoles-là. Et l’idée positive qu’il y a là c’est qu’on les y envoie pour voler le savoir, apprendre à lier le bois au bois pour faire des édifices de bois, comme dit la Grande royale, apprendre l’art de vaincre sans avoir raison. Vous avez là tout le problème de la colonisation qui a mis en affrontement deux civilisations : une civilisation africaine que Senghor a qualifiée d’affective et une civilisation hellène qui, elle, est matérialiste. J’avais le sentiment que toute la problématique de la négritude était résumée dans cet ouvrage-maître qui est véritablement un chef d’œuvre.
Note : Pabe Mongo est l’auteur de « Père inconnu » (Edicef, 2001) qui fut inscrit au programme scolaire. Il est aussi le président de la section camerounaise de l’Association des écrivains de langue française.


Guillaume Nana
« La Grande royale est une femme pragmatique »
 
Le personnage qui m’a le plus marqué c’est celui de la Grande royale dans « L’Aventure ambiguë » de Cheick Hamidou Kane. Ceci parce que, tout en représentant le passé de l’Afrique dans toute sa richesse et sa splendeur culturelle et traditionnelle, elle a compris, avec l’arrivée de l’Occident en Afrique, qu’il fallait savoir composer avec le colon sans s’aliéner nous-mêmes, c’est-à-dire en prenant chez eux ce qui est positif et en rejetant ce qui ne l’est pas. C’est une femme pragmatique, consciente. Le problème est réel aujourd’hui encore, car 50 ans après les indépendances, nous devons toujours nous demander si ce que nous prenons chez l’autre va dans le sens de nos intérêts. Dans le contexte africain, c’est un roman qui fait fi du temps, il est d’hier et d’aujourd’hui par rapport à la pertinence de sa thématique.
Note : Guillaume Nana est fonctionnaire en service au ministère de la Culture. Il a écrit en 2005 le roman « Grains de poussière » qui est inscrit au programme des classes de 4ème. « Le cri muet » vient de paraître chez Clé.

 
Marie-Rose Abomo-Maurin
« Toundi dans Une vie de boy est un être naïf »
Le personnage qui m’a beaucoup marqué dans la littérature c’est Toundi, dans « Une vie de boy » de Ferdinand Oyono (1956, ndlr). C’est un être complètement naïf qui quitte sa société pour essayer de trouver une place dans la société occidentale et qui devient le souffre-douleur de tout le monde.
Il se pose, à travers lui, la question de savoir si on peut trouver du bonheur en quittant les siens pour aller dans une société qu’on ne connait pas tout à fait.
Ce qui me marque le plus chez Toundi c’est sa naïveté. Il est naïf et en même temps, il est le symbole de celui qui croit qu’il passe dans le cheminement qu’il a enclenché. Il finira par trouver le malheur, c’est un personnage tragique.
Note : Marie-Rose Abomo-Maurin est née à Sangmelima. Professeur de lettres en France, elle a écrit deux essais sur la littérature orale et sur la langue boulou. Elle vient de publier chez Ifrikiya un recueil de nouvelles, « Des prénoms comme un chapelet de cauchemars ».

 
Anne Cillon Perri
« Maître Tierno dans L’Aventure ambiguë incarne l'islam »
Je souhaite faire une clarification préalable pour dire que le concept de littérature négro-africaine, à mon avis, est problématique, dans la mesure où on ne sait pas très bien de quoi on parle. Est-ce qu’il s’agit de la littérature d’auteurs Noirs ? Est-ce qu’il s’agit d’écrivains vivant en Afrique ?
Néanmoins, tous les personnages m’ont intéressé parce que je les ai traqués d’un livre à l’autre, du début à la fin. Lequel m’a le plus marqué ? Je dirai peut-être maître Tierno dans « L’Aventure ambiguë » de Cheich Hamidou Kane, parce qu’il correspond parfaitement à la perception que j’ai de l’Islam.
Note : Agé de 49 ans, Anne-Cillon Perri est poète, nouvelliste et romancier. Il a publié « Sur les rues de ma mémoires » à Proximité, suivi d’autres œuvres à Ifrikiya. Il est par ailleurs administrateur civil principal.

Aimé Mathurin Moussy
« Banda de Ville cruelle s’exprime sans état d’âme »

Dans la littérature de mon enfance et celle qui m’a bercé à l’école, c’est Banda de « Ville cruelle » de Mongo Beti (publié en 1954 à Présence africaine sous le nom d’Eza Boto, ndlr).
Pour moi, c’est l’Africain qui s’exprime sans état d’âme. Or, l’africain c’est l’émotivité, la recherche permanente d’équité. Banda incarne pour moi le personnage anticolonialiste qu’il faille avoir aujourd’hui dans notre société qui est sclérosée par la néo-colonisation.
Mongo Beti
Car, le problème de la colonisation a peut-être été dépassé mais le problème de la néo-colonisation est toujours d’actualité, même si elle est plus soft. Ce livre est une forme de négritude qui s’exprimer dans un carré camerounais, c’est une forme d’exercice de la parole et de la liberté. Le personnage de Banda est même encore plus d’actualité aujourd’hui, parce que les problèmes qu’il y avait il y a 50 ans ont amplifiés : la démographie, le tribalisme, les sectes...
Note : Né en 1966, Aimé Mathurin Moussy est journaliste. Il vient de publier chez L’Harmattan le recueil de nouvelles, « Sorcier d’Obala ». Actuellement, il vit et travaille en France.

 
François Nkeme
« La Grande royale incarne l’esprit de changement »
 
Le personnage le plus important de la littérature africaine est la Grande royale de « L'aventure ambigüe » de Cheikh Hamidou Kane. Pour moi, elle incarne bien l'esprit nouveau qui doit conduire le changement et le développement de l'Afrique lors de la rencontre avec l'Occident, supérieur sur le plan technologique. Elle dit : « L'école des Blancs n'est pas une bonne chose, mais mon sentiment est que nous devons y envoyer nos enfants ».
C'est un sentiment d'humilité devant la supériorité d'une autre façon de concevoir l'univers, une façon que nous n'aimons pas mais que nous devons apprendre à comprendre et à connaître, au risque de disparaître. Y a t-il un sentiment plus noble que celui de reconnaître que nous devons apprendre et nous mettre à l'école pour notre survie ? La décision de la Grande royale est pleine d'humilité et dérange la société traditionnelle qui veut perpétrer à l'infini son cycle, car elle dit que le monde change et que rien sur terre n'est éternel. Les traditions de demain sont la résultante des orientations d'aujourd'hui. N'est-ce pas nous les ancêtres de demain?
Note : François Nkeme s’est fait connaître du public avec son 2ème roman « Le cimetière des bacheliers » (Proximité, 2002). Auteur de trois ouvres, il est dirige les éditions Ifrikiya à Yaoundé.


Lottin Wekape
« Koumé de Ville cruelle est un modèle pour la jeunesse »
Je ne suis pas resté insensible au combat valorisant que Mor-Zamba mène pour s’affranchir d’un pouvoir dictatorial au service de la cause occidentale. Toutefois, c’est au personnage Koumé de « Ville Cruelle » d’Eza Boto que va toute ma sympathie. Devenu un classique dans les lettres francophones, ce roman n’est pas loin d’une allégorie nationale. Il a d’ailleurs activement participé au processus de conscientisation des Africains sur les ravages de la colonisation, ainsi que sur la nécessité de se libérer de l’ogre colonial.
Koumé est le symbole vivant de cette lutte anticolonialiste dont dépend la survie de la nation. Téméraire dans une société grignotée par la lâcheté et la peur, véritable insoumis dans un univers ubuesque où de loques humaines nourries de fouet et d’humiliation rasent désespérément les murs dès qu’apparaît l’homme blanc, agissant plus qu’il ne parle, Koumé représente, durant les années 50, une chance de conquête de l’indépendance qu’espère alors vivement l’Afrique. Il me semble d’ailleurs qu’au moment où le continent se rend de plus en plus compte que le bilan de 50 années d’indépendance est désastreux, ce personnage attachant et en guerre contre les différentes iniquités peut être un moyen pour la jeunesse camerounaise d’envisager l’avenir du pays avec plus d’audace.
Note : Né en 1968 à Yaoundé, Lottin Wekape prépare un doctorat en lettres au Canada. Romancier et dramaturge, il compte 11 ouvrages dont « Chasse à l’étranger » (nouvelles) et www.romeoetjuliette.unis.com.

 
Bole Butake
"Okonkwo dans Things fall apart de Chinua Achebe"

Il y a beaucoup de personnages qui m’ont marqué. Mais j’ai surtout été captivé par Okonkwo, le héros du roman « Things fall apart » (Clé, 1968 ndlr) de l’écrivain nigérian Chinua Achebe. Okonkwo c’est quelqu’un dont le père était paresseux, et lui, il a tout fait pour se démarquer de son père et faire oublier sa filiation. Pour cela, il a perdu son humanité, car il ne voulait pas montrer le moindre amour pour autrui, il fallait qu’il soit sévère pour montrer qu’il était un homme.
Malheureusement pour lui, il est mort tragiquement, en se suicidant, parce qu’il n’a pas supporté l’arrivée du Blanc et les bouleversements qui ont suivis.
Un autre personnage que j’ai aimé c’est le lion, dans « Le lion et la perle» (1971, ndlr). Dans cette pièce de théâtre, le lion est vieux et polygame, il tombe amoureux d’une jeune fille du village, Sidi. Le jeune instituteur du village est lui aussi amoureux de Sidi. Mais il n’arrive pas à lui montrer son amour, et elle va se marier au vieux lion. Malgré sa vieillesse, le lion a la sagesse et il a réussi à épouser la jeune fille
Note : Bole Butake est enseignant et dramaturge. Vice doyen chargé de la scolarité à l’université de Yaoundé I, il est l’auteur de pièces de théâtre dont « Lake God » et « Shoes four men in arm ».

 
 
Hervé Madaya
« Loukoum de Calixthe Beyala me fascine »
La plupart des romans africains que j’ai lus mettent en action des héros plus grands que nature. Je pense par exemple à Birahima dans « Allah n’est pas obligé » d’Ahmadou Kourouma (2000, Seuil, ndlr)…
Je suis un peu embarrassé mais le personnage que j’ai le plus aimé c’est le petit prince africain de Calixthe Beyala, Loukoum. Pourquoi ? Parce que je suis fasciné par la différence. De race, de culture, de personnalité. Un petit africain qui sillonne les rues de Belleville, avec son français et sa culture, qui n’a rien à voir avec les habitudes occidentales, ça captive.
Dans ces romans qui s’intitulent « Maman a un amant » et « Le petit prince de Belleville », le héros raconte sa vadrouille, la vie conjugale de ses parents, immigrés ouest-africains en France. Il donne l’impression de vagabonder alors que ses mots d’enfant sont comme de petits doigts qui se fichent malicieusement dans des blessures d’adultes : les difficultés d’intégration après le dépaysement, le racisme, le désespoir qu’apporte la stérilité, la peur de vieillir seul, l’adultère, etc.
Je trouve que les écrivains africains sont créatifs et fantaisistes. Leurs livres sont souvent pleins d’émotions, de vie, de couleurs. Et il n’est certainement pas facile de camper un personnage enfant aussi enrichissant que Loukoum.
Note : Né en 1977 à Lolodorf, Hervé Madaya est un jeune auteur qui est encore à son premier roman, « Sur les traces de Saer » (Ifrikiya, 2009). Il a récemment remporté le 1er prix roman du concours littéraire Le Cameroes 2010.

 
Marcellin Vounda Etoa
« Un personnage est un être de papier qui vit dans la tête d’un écrivain »
Critique littéraire, il explique aussi pourquoi la littérature de la période des indépendances a marqué profondément les esprits.
 

Qu’entend-t-on par un personnage de la littérature ?
Pour comprendre la notion de personnage, il faut ramener la littératre à ce qui la caractérise. Les principaux genres littéraires sont le roman, le théâtre et la poésie. Et la fonction de la littérature, du roman et du théâtre notamment, c’est de reproduire le monde. Le premier élément pour parler de littérature c’est le caractère fictif, le deuxième élément, c’est la création. Un personnage est un être semblable à la personne humaine mais qui n’a d’existence qu’à l’intérieur d’une œuvre et dans la tête d’un écrivain. C’est donc être de papier. Au point où certains auteurs, à une époque donnée, faisaient cet avertissement : « toute ressemblance avec un personnage existant ou ayant existé n’est que pure coïncidence ».. Une œuvre littéraire, un roman notamment, n’est pas un acte innocent. L’auteur veut communiquer soit une vision du monde, soit une émotion. Il veut faire adhérer à quelque chose. Pour y parvenir, il se sert donc d’un certain nombre d’outils dont le principal est le personnage qui va incarner toutes les idées, toutes les valeurs et contre-valeurs qu’il veut communiquer. C’est pour cela que le personnage est l’élément central de toute œuvre littéraire, du roman et du théâtre notamment.
 
Comment comprendre que la littérature africaine pré et post indépendances ait autant marqué les esprits, contrairement à celle contemporaine ?
On peut comprendre ce phénomène de deux manières. Premièrement, la nouveauté : il n’y avait pas, avant, une culture et une tradition littéraire. Du coup, tout le monde était focalisé vers ces personnages. La deuxième raison c’est que, comme c’était des faits rares, ils étaient forcément marquants. Il y avait aussi une médiatisation qui fait que jusqu’aujourd’hui, d’Afrique du Sud en Afrique du Nord, on connaît les personnages de Mongo Beti, parce qu’il y avait un seul créneau à partir desquels ces œuvres, qui étaient des pièces rares, étaient diffusées. Il y avait également cet aspect consensuel sur la pertinence des sujets, c’est-à-dire qu’avant les indépendances, la seule chose qui méritait de retenir l’attention c’était comment s’émanciper de la tutelle coloniale. Maintenant que la colonisation est dépassée, il y a comme une espèce d’éclatement de pôles d’intérêt. Aujourd’hui, il y en a qui parlent de l’immigration, d’autres qui parlent de la protection de l’environnement, de la question de genre, du néocolonialisme… Cette multiplication de sujets fait que l’attention est éclatée et dispersée sur ces différents axes-là.

Dossier réalisé par Stéphanie Dongmo