lundi 4 avril 2011

Jean-Claude Awono : « Il n'y a pas un marché de la poésie au Cameroun »

Poète, critique littéraire et président de l'association la Ronde des poètes, il parle de la situation de ce genre littéraire au Cameroun, à l'occasion de la Journée mondiale de la poésie qui s'est célébrée le 21 mars 2011.


Existe-t-il une poésie camerounaise?

Cette question ne se pose plus, la poésie camerounaise est une évidence. Il y a une historie de la poésie camerounaise, il y a des figures fortes, compétitives de cette poésie, il y a une production éditoriale. Quel que soit l'aspect de l'institution poétique qu'on puisse prendre, on va constater qu'effectivement, la poésie existe et est vivante au Cameroun. C'est la réception du travail des poètes qui fait encore défaut, mais la production et la mobilisation des acteurs qui donnent vie à la poésie est là.

Quelle est l'histoire de la poésie au Cameroun?

On peut remonter très loin, si on considère que la poésie est d'abord une expression orale. Quand on creuse dans l'histoire, on est émerveillé par la production orale poétique, le Cameroun a produit des épopées. Déjà, avant l'indépendance, dans les années 1930, Isaac Moumé Etia avait publié des fables du Cameroun. Après, on connaît le travail fait par l'Association des poètes et écrivains du Cameroun (Apec) avec René Philombe et les autres. Dans le cadre de cette association, il y a toute une critique qui s'est mise en place, les écrivains et les poètes ne se contentaient pas seulement d'écrire. Et Dieu seul sait que c'est la critique qui fait avancer l'écriture, qui fait qu'on prenne conscience des limites du niveau d'écriture et qu'on essaie d'envisager l'avenir avec beaucoup plus sérénité.

Que reste-t-il de l'héritage de ces premiers poètes ?

Cet héritage est difficilement appréciable pour qui n'a pas fait l'effort d'aller chercher dans les racines, parce qu'il n'y a véritablement pas de document. Les poètes tels Louis Marie Pouka et Jeanne Ngo Maï ont produit, mais il n'y a eu pas de récupération sociale de ce travail pour le prolonger et le projeter dans l'avenir. Mais, depuis qu'elle existe, La Ronde des poètes s'est lancée dans ce travail de quête des origines de la poésie camerounaise. On a essayé de rétablir les ponts en publiant une revue [Hiotiti, ndrl]. Il y a, en même temps, une sorte de pont que nous avons pu percevoir entre les premières générations et les générations actuelles, qui sont soudées par une génération intermédiaire constituée d'auteurs tels Patrice Kayo, Fernando d'Almeida et autres. C'est une écriture dynamique qui se renouvelle.

Quelles sont les figures actuelle de cette écriture ?

C'est difficile de les citer... Parmi les pionniers, il y a Patrice Kayo qui est là. Le maître de la poésie, Fernando d'Almeida, est là aussi. On peut également citer les jeunes loups comme Wilfried Menye, qui est membre de la Ronde des poètes. On ne peut pas oublier ceux de la diaspora, notamment Paul Dakeyo qui est de la génération intermédiaire et qui vit en France. Par ailleurs, il y a un boom éditorial. Les poètes sont de plus en plus nombreux à publier et il y a beaucoup de qualité dedans. C'est cette force collective qu'il faut surtout considérer comme grande figure.

A la fin des années 90, vous-même, Jean-Claude Awono, Angeline Solange Bonono et Marie-Claire Dati étiez considérés comme faisant partie de la jeune génération de poètes. Cette génération-là est-elle dépassée ?

Elle ne peut pas être considérée comme dépassée; il y a seulement une dispersion spatiale. Marie-Claire Dati est partie en Éthiopie, Angeline Solange Bonono est en France. Du coup, la visibilité qui était assurée à leurs œuvres est quelque peu réduite, mais cela n'enlève absolument rien à leur pertinence. On ne peut pas parler de poésie camerounaise d'aujourd'hui en mettant de côté ces figures, même si, honnêtement, nous attendons qu'Angeline revienne à la poésie. Elle s'en est écartée en s'investissant davantage dans le roman. Pourtant, c'est la poésie qui l'a révélée.

Vous même, votre dernière publication remonte à 2007...

Depuis 2007, j'ai publié beaucoup d'autres auteurs, en restant moi-même à l'écart. Mais je reviens à l'édition. Je pense qu'avant la fin de cette année 2011, j'aurai publié pas mal d'ouvrages que j'ai dans les tiroirs.

Parlent d'édition, y a-t-il un marché de la poésie au Cameroun ?

Il n'y a pas de marché de la poésie en tant que tel. La commercialisation des œuvres de poésie qui sont déposés dans les librairies est très lente, quand elle n'est pas tout simplement inexistante. Le marché de la poésie camerounaise reste à créer. Cependant, pour écouler les livres que nous publions, nous essayons de réduire le volume de production à 500 exemplaires au maximum, ce qui est minime. Par ailleurs, nous travaillons avec l'auteur, qui a, autour de lui, un ensemble de personnes qui lui sont plus ou moins proches et qui sont des acheteurs potentiels. En même temps, nous essayons de rester fidèle au public classique. Il y a quand même une petite frange de la population qui s'intéresse à la poésie et nous l'alimentons en publications.

Vous parlez de la collection « Ronde » que vous dirigez aux éditions Ifrikiya... Combien de recueils de poèmes publiez-vous par an ?

Nous publions en moyenne cinq recueils par an.

L'association La Ronde des poètes du Cameroun est née en 1996. Quels étaient vos objectifs de départ ?

Nous naissons lorsque l'Apec ne se réunit plus, après avoir organisé un concours de poésie dont elle n'a pas révélé les lauréats. Nos objectifs sont alors de contribuer à redonner à l'homme l'initiative de création, qui est un des domaines essentiels de l'expression de la liberté. Dans le même temps, les poètes étaient dispersés, la structure qui les rassemblait jusque-là ne fonctionnait plus. Il fallait les rassembler, relancer l'édition et travailler à restaurer la critique poétique.

En 15 ans d'existence, quel est le bilan de la Ronde des poètes ?

Je suis très mal placé pour dresser un bilan. Cependant, le bilan peut se voir à travers les publications qui sont faites au niveau des éditions Ifrikiya, au niveau d'une action comme celle que nous faisons en direction de la prison [ La Ronde des poètes a organisé une série d'activité à la prison centrale de Yaoundé pour commémorer la Journée mondiale de la poésie, ndlr] et à cette dynamique permanente autour de la poésie. Avec de petites initiatives, la poésie a réussi à rester vivante, à s'interroger, à se remettre en question et donc, à se renouveler.

D'autres associations existent qui font la promotion de la poésie : les Amis de la littérature de Stella Engama, Agbetsi international de Mawoussi Koutodjo, pour ne citer que celles-là. Quel a été l'apport de ces mouvement dans l'évolution de la poésie camerounaise ?

L'œuvre d'Agbetsi international a été déterminante dans la relance de la poésie au Cameroun. C'est elle qui nous a fait comprendre qu'on pouvait se risquer dans l'édition avec peu de moyens. Il faut tirer un coup de chapeau à cette association, même si, depuis quelques années, elle s'est investie dans d'autres domaines que la poésie. L'association les Amis de la littérature aussi a fait un très bon boulot, notamment dans le domaine de l'organisation des salons littéraires, en mobilisant des sommités littéraires et en focalisant leur attention sur la poésie. Mais depuis quelque temps, on ne l'a pas vue beaucoup sur le terrain, l'association cherche sans doute à se renouveler.

Le 21 mars dernier, La Ronde des poètes a célébré la Journée mondiale de la poésie au Cameroun. Que peut-on tirer d'une telle journée ?

Il est d'abord question d'attirer l'attention de la communauté nationale et internationale sur l'importance de la poésie et sur sa place. C'est un plateau en or qu'on nous donne, et qui, malheureusement, n'est pas très bien compris. C'est l'occasion pour les poètes d'aller sur le terrain et dire : nous existons, nous avons contribué à la construction de l'humanité, nous sommes les éveilleurs de la conscience, nous sommes ceux qui portent la conscience. Je crois qu'il est important que les poètes rappellent cela, car, il n'y a véritablement pas de lecture de l'histoire humaine en dehors de la poésie.

Aujourd'hui, on constate que la poésie se greffe à d'autres disciplines artistiques comme la danse, le théâtre, la musique, les arts plastiques... Comment comprendre cette évolution ?

C'est une évolution qui est normale. Il y a une sorte d'éclatement des frontières entre les arts. De plus en plus, il me semble qu'il y a un grand Art, qui est le lieu de convergence de tous les genres. Et la poésie a le devoir de participer à la construction de ce socle artistique universel qui se met en place. Mais cela ne veut pas dire qu'elle doit se dissoudre. Elle devra garder son originalité, son identité qui est d'être toujours un art de création, de revendication qui refuse l'aliénation et choisi les libertés comme mode d'expression et de participation à l'action humanitaire.

Quels sont les problèmes de la poésie camerounaise ?

Ils sont de différents ordres. Le problème de la production ne se pose pas beaucoup, le problème de la publication se pose de moins en moins avec les structures éditoriales qui se multiplient. Le problème, il me semble, c'est au niveau de la diffusion et de la consommation de la poésie. Et aussi de la difficulté des acteurs étatiques à comprendre que la poésie contribue à l'action culturelle. C'est l'un de problèmes les plus cruciaux qui rencontre la poésie dans notre pays : l'institution qui organise la communauté n'est pas encore suffisamment sensibilisée à la poésie, et pourtant, elle est elle-même bénéficiaire des bienfaits de la poésie. Il y a une sorte de retour ingrat.

Comment voyez-vous l'avenir de la poésie dans notre pays?

Le Cameroun va jouer un grand rôle dans le devenir poétique de l'Afrique. On l'a vu avec des mastodontes comme Fernando d'Almeida, qui a un rayonnement universel; avec le travail de René Philombe et celui que fait La Ronde des poètes dans une précarité innommable. On ne peut pas avoir investi autant d'énergie sans espérer un devenir qui soit radieux en termes d'auteurs de race, de présence sur la scène de la production poétique internationale. Je reste convaincu que l'avenir poétique du Cameroun sera radieux.

Quels sont les préalables pour y arriver?

D'abord, que les poètes occupent les espaces qui sont les leurs. Ils doivent également s'organiser, essayer d'être un groupe de pression pour réclamer ce qui leur revient. Les poètes, comme les écrivains, ont leur place qui doit leur être reconnue et mise à contribution de manière beaucoup plus vaste.

Propos recueillis par Stéphanie Dongmo



Bibliographie partielle de Jean-Claude Awono :

  • Flux et reflux d'une foulée de fou, Presses universitaires, Yaoundé, 1999

  • A l'affût du matin rouge, éditions CLE, Yaoundé, 2006.

  • Bouquet de cendre, anthologie de la poésie féminine camerounaise d'expression française, Yaoundé, Ifrikiya, 2007

  • Terre de poètes terre de paix, anthologie des poètes du monde sur la paix, Yaoundé, Ifrikiya, 2007

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