lundi 4 avril 2011

Jean Roké Patoudem : « Il y a un véritable marché du film en Afrique »

Réalisateur, producteur, distributeur et exportateur de films, le Camerounais parle des conditions de l'éclosion de ce marché et de sa société de production basée en France, Patou films international.


A la dernière édition du Fespaco, deux films que vous avez respectivement co-produit et produit ont été primés. Il s'agit de « Le mec idéal » de l'Ivoirien Owell Brown, Étalon de bronze de Yennenga, et « Un pas en avant, les dessous de la corruption » du Béninois Sylvestre Amoussou, meilleure interprétation masculine et meilleure musique de film. Est-ce une consécration pour vous ?


Consécration, je ne pense pas parce que j’ai encore à prouver, mais fierté de voir aboutir ce que nous avons entrepris. D’autant plus que ces deux films ont bénéficié d’une forte implication financière et logistique de leurs gouvernements respectifs. Je suis producteur depuis 1992 via ma société, Patou films international basée en France. Il était nécessaire pour moi de faire bénéficier au continent mon expérience acquise à l’international. Au Fespaco, j’étais le seul Camerounais et producteur, en général, qui était impliqué dans deux films en compétition officielle. Ouvrir nos pays au tournage de films engendre des retombées économiques importantes sur le plan national, développe le secteur touristique, favorise la professionnalisation des métiers du cinéma, dynamise le secteur audiovisuel et fait rayonner l’image du pays à l’étranger au travers des festivals, qui sont le plus souvent couverts par les journalistes du monde entier.

Malgré les grands moyens dont vous avez bénéficié pour le tournage et les récompenses engrangées, la critique a dit du film « Un pas avant...» qu'il a manqué d'une bonne direction d'acteur et est resté superficiel en abordant le problème de la corruption...

Vous savez, Sylvestre Amoussou n’est pas à son premier coup d’essai. Pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est le réalisateur d'« Africa Paradis », son premier long métrage. « Un pas en avant, les dessous de la corruption » est servi par une pléiade d’acteurs de renommée internationale tels que Firmine Richard, Thierry Desroses, Fatou N’Diaye, Sidiki Bakaba, Dieudonné Kabongo… A Cotounou, l'État béninois nous a permis d'avoir une logistique importante : des prises de vues aérienne, des scènes tournées au cœur des bâtiments ministériels flambants neufs et dans le port, ce qui était une première. J’avais une équipe de 50 personnes, techniciens et comédiens compris, dont 30 sont venues de Paris. Le film pose une question fondamentale sur la corruption qui gangrène notre continent. Comment cela se fait-il qu’aujourd’hui, aucun pays africain n’y échappe ? Pour revenir à votre question, chaque critique a le droit de dire ce qu’il pense.

« Un mec idéal » est une comédie romantique, et c'est le premier film de ce genre à remporter un étalon au Fespaco. Y croyiez-vous au départ ?

Quand on entreprend un projet, il est difficile de ne pas y croire. Si vous n’y croyez pas, ce sera difficile de fédérer les gens autour de votre projet. C’est un nouveau genre qui fait son entrée dans le paysage cinématographique africain. Mais il ne faut pas qu’il frustre l’ancienne génération de cinéastes. Aujourd’hui, quelques bornées croient toujours que l’Afrique est sous-développée. Je prouve que non à travers les films dans lesquels je m’implique. Au Cameroun, nous avons tout simplement la malchance que le bien-être public ne soit qu’un détail pour notre gouvernement. Sinon, le Camerounais n’aura rien à envier à l’Occident.

En jetant un regard sur votre filmographie, on constate que vous avez travaillé sur peu de films camerounais. Est-ce délibéré ?

C’est dommage parce que je suis moi-même Camerounais. Je suis au Cameroun tout le temps pour voir ma famille et recharger un peu mes batteries affectives dans mon village à Bafou (Dschang). J’ai l’impression d’une certaine inertie autour de notre ministère de la Culture. Il y a une absence définie des lignes directrices sur la politique culturelle, sur le plan national et international. En l’absence de ceci, on ne sait pas par où commencer, même si les Camerounais ont de bons projets dans leurs cartons.

Vous êtes scénariste et réalisateur. Mais depuis « Malik » en 1996, vous n'avez plus réalisé de films. Pourquoi cette rupture ?

C’est vrai, si vous ne parlez que de la fiction. Parce que, depuis, j’ai réalisé plus d’une trentaine de clips vidéos en France et trois films documentaires (« Le bal de la bastille » diffusé sur TV5, « GuitoB n’abandonne pas » et « Annie Flore Bacthiellilys, sur la route des anges ». J’ai aussi produit deux séries TV : « Les immigrés » (52x26mn) que vous avez du voir sur TV5 et « Gohou show ». J’ai également participé à la production de « No way » de Owell Brown, avec le rappeur Passi dans le rôle principal. Mais, ma plus grande fierté reste la production de « Unni », le film Indien que j’ai produit en 2006 et dont le tournage s’était déroulé dans la région du Kérala en Inde. Le film était présenté au marché du festival de Cannes en 2007.

Actuellement, vous préparez un long métrage, « L'enfant de rêve », qui sera tourné au Cameroun. Parlez-nous de ce projet...

C’est un conte initiatique bourré d’effets spéciaux. Les extérieurs seront tournés en forêt chez nous, et les intérieurs dans un studio que nous allons créer au Cameroun à partir d’un hangar désaffecté d'anciennes usines, comme on en trouve beaucoup à Douala. C’est une véritable source de création d’emplois.

Ce film va marquer en quelque sorte votre retour au Cameroun...

J’y suis tout le temps. En somme, je ne suis jamais parti. J’ai coproduis le court métrage « Benguiste » de Ervy Ken Patoudem avec notre société Cameroon studio basée à Yaoundé. Le film avait été présenté aux Ecrans noirs et a circulé dans pas mal de festivals internationaux. Cette coproduction s’inscrivait dans le cadre des accords de coproduction signés entre la France et le Cameroun. Nous tournons aussi, actuellement, un documentaire sur la « bottle dance », appelée communément le « club dance ». Je rappelle que cette danse est depuis rentré dans le répertoire de la Fédération camerounaise des danses sportives et assimilées (Fecadansa).

Vous êtes le promoteur de Patou Film International, une société de production basée en France. Comment est né ce projet ?

Ma société est née en 1992 en France sur la simple envie de développer la production cinématographique et audiovisuelle tel que je l’entendais. Elle est dotée d’un capital social de 29 518 000 francs Cfa, le capital minimum à l’époque pour obtenir l’autorisation de produire des films longs métrages en France. Aujourd’hui, la société a beaucoup évoluée et officie dans trois départements majeurs : la production, la distribution et les ventes internationales. Ce qui explique notre présence dans de grands marchés internationaux comme Cannes, Venise, Berlin, Toronto, Dubaï, et maintenant Pékin.

La récente édition du Fespaco avait pour thème « Cinéma et marchés ». Quels sont les marchés du cinéma africain ?

Il y a un véritable marché en Afrique. Le seul problème c’est que les principaux acteurs liés à ce marché et nos hommes politiques n’y croient pas. Le secteur qui n’est pas structuré laisse la part belle au piratage, qui est une économie colossale mais négligée par la loi. Le piratage génère un chiffre d’affaires impressionnant qui échappe au contrôle de l'État. Si le Dvd ou le Cd piraté se vend bien, il n’y a pas de raison que l’original ne se vende pas. Encore faut-il trouver l’original à acheter.

Les films camerounais sont-ils présents à l'étranger, en Europe notamment ?

Pour les films Camerounais, c’est le désert total. On peut se demander comment une grande nation comme le Cameroun n’arrive pas à soutenir ne serait-ce qu’une vraie production par an? Nous avons quand même fait « Muna Muto » de Dikongue Pipa (Étalon d’Or au Fespaco), « Notre fille » de Daniel Kamwa, « Le Maître de canton » de Bassek Ba Kobio… Puis, tout d’un coup, plus rien. Je crois qu’à l’image de notre musique, notre cinéma peut être rassembleur. A l’étranger, en Europe notamment, la concurrence est rude et nous y brillons tout simplement par notre absence. Pour l'instant, le circuit de distribution du cinéma camerounais à l'étranger est au repos.

Le financement et la distribution restent le ventre mou du cinéma africain dans un contexte de fermeture de salles de cinéma. Comment sortir de ce cercle vicieux ?

Tout le monde se plaint de la fermeture des salles en Afrique. J’ai envie de dire que c’est une bonne chose, car, elles étaient vétustes et dépassées. Avoir une salle de cinéma est un commerce comme un autre. Pour attirer les clients, il faut des films. Or, l’Afrique ne produit pas autant que la demande l'exige. Pour parer à cela, le distributeur africain doit acquérir d’autres films pour alimenter son catalogue. Or, les coûts d’acquisition des droits d’exploitation de film par pays sont très élevés. Comme il ne peut les assumer tout seul, il ferme sa salle. Je pense que l'État devrait déjà travailler à faciliter la circulation des biens culturels dans le pays, tant à l’import qu’à l’export. L'État encore doit prendre des mesures d’incitation à la création des lieux culturels comme les salle de théâtre, de concert et de cinéma. Ce n’est qu’à ce titre qu’on pourra voir naître de nouveaux entrepreneurs dans ce secteur. Pr ailleurs, les films africains doivent être bons, compétitifs et apprendre de nouvelles choses aux gens que de leurs offrir les mêmes images que les Ongs. Le public africain a aussi droit aux rêves, aux héros. Alors donnons lui ses héros et faisons-le rêver.

Propos recueillis par Stéphanie Dongmo


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire