jeudi 10 novembre 2011

Petit pays : « J'en veux à l'Etat pour la piraterie »

Dans un entretien à bâton rompu, le musicien Adolphe Claude Moundi, alias Rabba Rabbi, parle de «Gagnez gagnez», son nouvel album, de la piraterie, de son passage à la tête du Caïman de Douala, de ses supposés pouvoirs de guérison, de ses rapports avec les artistes et du ministère de la Culture.



Vous venez de sortir un album intitulé «Gagnez gagnez». Pourquoi un tel titre  ?
«  Gagnez gagnez  » parce qu'on a gagné la paix. C'est un exploit, un avantage pour tout le monde, qu'on soit de l'opposition ou du parti au pouvoir. La paix est une manne et je suis content parce qu'on a pu trouver cet équilibre, car le désordre n'apporte rien. Il est temps que les Africains se réveillent et prennent leur destin en main. Voyez ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire et en Libye. Nous croyons souvent que nous n'avons rien. Mais si nous sommes combattus par l'Occident, c'est que nous avons quelque chose.
Pensez-vous qu'on a une véritable paix au Cameroun  ?
Je ne pense pas, les gens souffrent. Mais tout le monde ne sera jamais satisfait. C'est pourquoi il y aura toujours l'opposition à côté du pouvoir. Mais je crois qu'à la longue, chaque Camerounais pourra avoir à manger matin, midi et soir. Il y a une prise de conscience du gouvernement. Ces derniers temps, les ministres ont beaucoup prêché la paix. S'ils ont eu peur, c'est qu'ils ont pris conscience de la situation. La paix qui règne au Cameroun ne vient pas du gouvernement, mais des Camerounais qui ont compris que c'était la chose la plus importante pour eux.
Quels sont les autres thèmes que vous abordez dans cet album de dix titres  ?
J'ai beaucoup à dire. Je dis qu'il ne faut pas toucher au mari d'autrui ou à la femme d'autrui  ; je chante qu'un mauvais mariage est pire que le poison. Dans le titre «  Avc  », je fustige les femmes noires qui vivent à l'étranger. Elles mettent leurs hommes dehors lorsqu'ils sont vieux et qu'ils ne peuvent plus travailler, et c'est ainsi qu'ils sont victimes d'Avc. Dans le titre «  Konda  », je parle des Douala qui sont locataires chez eux à Douala. D'ici 30 ans, je pense que la culture sawa va disparaître. C'est un peuple qui n'a aucune vision et qui pense plus au mal qu'au bien. Quand j'étais le président du club de football Caïman, j'ai vu la jalousie des gens. C'est un peuple sans ambition.
Vous avez été limogé en janvier 2011 pour votre gestion autocratique du Caïman club...
Oui, je suis un dictateur. On ne peut pas prendre le pouvoir et ne pas le nettoyer d'abord. Il n'y a pas d'exception, il fallait mettre la propreté. Avec moi, Caïman marchait bien, le club est même monté en première division. J'ai mis un pouvoir invisible et mystique dans l'équipe, de telle sorte que les joueurs moyens étaient devenus de bons joueurs. Et quand je suis parti, j'ai repris le pouvoir mystique que j'avais mis dans Caïman et il a retrouvé son vrai niveau. Aujourd'hui, l'équipe n'a plus de sens, et tous les clubs sawa sont pareils. 
Comment pouvez-vous parler de Dieu dans votre album et de pouvoir mystique en même temps  ?
C'est Dieu qui a créé le monde invisible, les deux ne sont pas incompatibles.
Qu'est-ce qui est prévu pour la promotion de cet album  ?
Dans les semaines à venir, je compte organiser une tournée de dédicace dans quelques pays africains  : Sénégal, Togo, Bénin... L'album est sorti dimanche dernier, il coûte 2000Fcfa seulement.
Comment a marché votre dernier album, «  God go pay  », sorti il y a un an?
Il s'est très bien vendu, je ne peux pas vous dire à combien d'exemplaires parce qu'il a été produit par Massema productions.
Vous êtes votre propre producteur pour ce nouvel opus. Comment comptez-vous contourner la piraterie ?
J'en veux à l'Etat camerounais pour la piraterie. Notre gouvernement est laxiste, pas compétent du tout. Je trouve que c'est de la méchanceté, de la jalousie. Le gouvernement est complice de la piraterie, il protège la piraterie dans laquelle les directeurs généraux, les ministres et les autres hauts cadres ont des intérêts. Je suis parfois dégoûté d'être Camerounais. Maintenant, on ne peut se fier qu'aux gens de bonne volonté qui achètent des Cd originaux. Même ces gens qu'on croit grands achètent des Cd piratés. Le gouvernement peut mettre sur pied une structure pour détruire la piraterie, comme il l'a fait pour le zoua zoua [carburant frelaté, ndlr].
Le 6 novembre dernier, à Bafia, vous avez donné un mini concert au domicile de Robert Mouthé Ambassa, un membre suppléant au comité central du Rdpc, à l'occasion des 29 ans de pouvoir de Paul Biya. Vous chantez désormais pour le Renouveau  ?
Non. J'étais chez mon ami et c'est une coïncidence que je sois arrivé le jour où il célébrait l'anniversaire de son parti. Je ne chante ni pour le Rdpc, ni pour le gouvernement, mais pour le peuple camerounais. M. Mouthé m’a maintes fois invité, mais pour des raisons de calendrier, je n’ai pas pu être là, cette fois, ça a été possible et je suis allé à Bafia.
Quels rapports entretenez-vous avec les autres artistes camerounais  ?
Je n'ai aucun rapport avec les artistes camerounais. La preuve, quand ils sont allés mendier à Mvomeka, je n'étais pas là. Je trouve déplorable que des artistes aillent voir le décideur et que, devant lui, ils ne puissent pas expliquer quels sont les problèmes qui minent leur corporation. Ces gens-là n'ont pas la même conception de la musique que moi, je ne veux entretenir aucun rapport avec eux. Avec le ministère de la Culture non plus, je n’entretiens pas de rapport. De nos jours, rien n'est en ordre, les ministres ne font que de la figuration. Je ne connais même pas le ministre de la Culture, je ne lui demande rien en tout cas. La musique camerounaise devrait avoir de beaux jours devant elle. Mais avec tout ce désordre, j'en doute.
Que reste-t-il du groupe Les Sans visa de Petits pays aujourd'hui  ?
Les Sans visas est un groupe qui vit, malgré les intempéries. Le groupe compte environ 80 musiciens. L'année prochaine, nous allons sortir un autre album des Sans Visa, après «  Embouteillage  ». Aucun artiste africain ne forme les jeunes artistes comme moi je le fais. Si les gens disent que j'exploite ces enfants, c'est par jalousie. Car, quand on sème le maïs, on s'attend normalement à ce qu'il grandisse et mûrisse. Quand je les forme, je sais très bien qu’ils auront du talent.
Depuis quelques années, vous affirmez avoir le pouvoir de délivrer les gens des démons. Comment est-ce possible  ?
Je ne sais pas si j'ai un pouvoir. Ce sont les gens qui viennent me voir à la maison pour me demander de les délivrer. Il y en a qui cherchent du boulot, d'autres sont malades. Je les exorcise en invoquant certaines choses que je préfère ne pas vous dire. Je leur impose les mains, je peux aussi les embrasser sur le front, utiliser de l'eau, du sel ou de l'huile. Ils reviennent et disent que ça marche. Pour moi qui ne suis d'aucune obédience religieuse, c'est comme une inspiration. Je fais de la voyance quand je veux, en fonction de ma disponibilité et de mes humeurs. Je peux vous regarder et vous dire ce qui est en vous. Je peux aussi vous assurer que mon nouvel album sera disque d'or. C'est un pressentiment, je pressens et j'invoque les choses. Mais je ne le fais pas souvent parce que, pour le faire, il faut se concentrer en se privant de certaines choses comme l'acte sexuel. Or, j'aime faire l'amour, tous les jours. Je ne peux pas non plus me priver de nourriture.
D'où vous est venue cette puissance?
Un jour, bien avant que j'aille chez TB Joshua au Nigeria, je suis allé à l'Ouest pour un concert. Avant le concert, je me suis rendu à l’hôpital où j’ai rendu visite à des malades. J’ai rencontré une jeune fille de 14 ans qui était hospitalisée depuis un mois. Elle ne marchait pas et ne mangeait presque pas. Lorsque cette jeune fille m'a vu, elle s'est mise à marcher. Elle est venue vers moi et je l’ai portée. Elle a recommencé à manger normalement. Dans la soirée, pendant le concert, des gens dans le public ont demandé que je les bénisse. Et au moment où je leur imposais les mains, je sentais quelque chose en moi comme un courant. Une fois chez moi, à Douala, d'autres gens sont venus me voir et m’ont dit qu'ils ont fait des rêves dans lesquels on leur demandait de venir me voir pour que je les sauve.
Votre délivrance chez le pasteur nigérian TB Joshua en 2009 a-t-elle contribué à développer ce pouvoir  ?
Chez TB Joshua, j'ai juste découvert comment marche le monde.
Vous êtes aussi ambassadeur de bonne volonté des Synergies africaines. Quels rapports entretenez-vous avec Chantal Biya  ?
Être ambassadeur de bonne volonté de Synergies africaines est une contribution au bien-être des populations, notamment en ce qui concerne la lutte contre le Sida et les souffrances. Ce n'est pas toujours facile, je ne peux sensibiliser que lors de mes concerts. Chantal Biya est la Première Dame du Cameroun, je n'ai pas de rapports particuliers avec elle. Elle m'a souvent reçu pour que nous parlions du combat qu'elle mène, et, à l'occasion, elle me demande de continuer à la soutenir dans ce combat.
Vous intéressez-vous à la politique  ?
Je n'aime pas trop parler de la politique parce qu'elle est injuste.  Je vis grâce à mon talent, l’État ne m'aide pas. Au contraire, l’État va aider des gens qui se disent musiciens mais qui ne vendent aucun disque.
Pourquoi devrait-on vous aider, vous percevez des droits d'auteur...
Je ne suis membre d'aucune société de gestion collective des droits d'auteur, je trouve que c'est une bande d'affamés et d'escrocs, ça ne m’intéresse pas de m'y affilier.
En 2010, un avis de recherche a été lancé contre vous à Douala, après que vous avez perçu l'argent d'un promoteur culturel pour un concert, sans toutefois donner la prestation attendue. Que s'était-il passé  ?
C'est un monsieur qui est venu me voir. Il a certainement eu des démêlés en France où il vivait et il m'a donné de l'argent pour un concert à Yaoundé qui a échoué de son fait. Il est encore revenu et m'a donné de l'argent une seconde fois, cette fois-ci pour un concert à Douala. Mais il n'a pas loué de salle, pas de matériel et n'a même pas fait de promotion.  A Douala, il va porter plainte pour salir mon image, et il s’est précipité pour en parler dans les médias, disant que je me suis évadé et que je suis recherché. Si j'avais voulu fuir, j'aurais tout simplement disparu car j'ai le pouvoir pour le faire.
Quels sont vos projets  ?
Faire la promotion de mon nouvel album. Avant cela, rentrer chez moi, me reposer et me faire masser.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo et Adrienne Engono
 



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