mardi 22 mai 2012

Cinéma : Dans la fabrique des kamikazes

« Les Chevaux de Dieu » du Marocain Nabil Ayouch, en compétition officielle dans la catégorie « Un certain regard » à la 65e édition de Cannes, a le courage d’aborder un sujet aussi sensible que l’extrémisme musulman.

Une scène du film Les chevaux de Dieu. Les jeunes prêts au sacrifice suprême.


Le 16 mai 2003, Casablanca est la cible d’une série d’attentats-suicides. Bilan de ce qui est devenu le plus grand acte terroriste au Maroc : 45 morts, dont 12 kamikazes. Des jeunes issus du bidonville de Sidi Moumen à Casablanca et membres de Salafia, un groupe terroriste affilié à Al-Qaïda. Le réalisateur Nabil Ayouch s’est emparé de ce fait d’actualité pour construire une fiction poignante de réalisme. Il raconte de l’intérieur comment on devient un kamikaze, et met en scène les facteurs qui ont contribué à faire de musulmans non pratiquants des extrémistes capables du pire.

Le long métrage est construit en trois parties : l’enrôlement, l’adolescence et l’enfance. Une enfance qu’une bande de copains vit dans la rue, ou presque. Leur quotidien est fait de pauvreté, de privation, de violence et de dépravation. Mais aussi de crime, de racket, de viol et de prostitution. Ainsi, Nabil Ayouch prend le spectateur par les sentiments, une recette qui a déjà fait le succès de son précédent film « Ali Zaoua, prince de la rue » (Etalon de Yennenga au Fespaco 2000). Le réalisateur a d’ailleurs tourné quelques séquences de ce film dans le même bidonville de Sidi Moumen.

Dans le récit, deux personnages se dégagent. Hamid et Yachine sont frères. Ils vivent excluent, à quelques kilomètres de la grande ville dont ils ne découvriront la splendeur et les richesses qu’au moment de la faire sauter. La caméra les suit pour raconter les mille et une déceptions de leur vie dans un pays où le riche exploite impunément le pauvre. Ici, chacun essaie de fuir sa réalité comme il peut : une mère laisse sa vie s’écouler devant les séries télévisées dont elle se saoule à longueur de journée ; une autre vend ses charmes et abandonne son fils pour survivre ; tandis que d’autres se tournent vers la religion (politisée) pour trouver un certain réconfort.

Le film de Nabil Ayouch, né d’une mère française juive et d’un père marocain musulman, ne prend pas partie mais essaie d’expliquer comment et pourquoi. Se faisant, il met chaque acteur devant ses responsabilités : de l’Etat indifférent à la misère du peuple aux parents irresponsables, en passant par les groupes religieux qui en profitent pour enrôler de jeunes éclopés de la vie. « Mon envie, c'était de raconter dans ce film, la complexité des raisons qui font qu'à un moment, un gamin de 10 ans, au fur et à mesure que son histoire se déroule, peut en arriver à devenir kamikaze et à se faire sauter au milieu de victimes innocentes », a expliqué Nabil Ayouch au cours d’une conférence de presse lundi à Cannes. Car pour lui, ces jeunes kamikazes sont surtout des victimes. Victimes du bidonville (où l’on se réjouit des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis), un terreau fertile pour l’extrémisme religieux, victimes d’un lavage de cerveau qui leur fait croire qu’Allah ouvre les portes du paradis aux martyrs et que c’est un honneur d’avoir été choisi.

Ces jeunes, qui ne sont pas des monstres, ne rêvent pourtant que d’être heureux. Sur terre comme au paradis. Il n’y a qu’à voir le regard joyeux de Yachine lorsque, sur la moto, il court vers la femme dont il est amoureux. Le plan est gros pour filmer ce bonheur furtif. Et large pour balayer la misère du quartier, perceptible à travers les cailloux posés sur les toitures pour les soutenir. Même les antennes paraboliques qui essaiment sur ces mêmes toitures semblent contribuer à isoler davantage de bidonville. Le frère autiste de Hamid et Yachine le dit avec une lucidité déconcertante : « on capte de centaine de chaînes sans en comprendre une ».

« Les Chevaux de Dieu » est un film à forts relents politiques d’une actualité brûlante. Il arrive au moment où les révolutions arabes ont laissé la place à des partis islamistes, et où des mouvements islamistes intégristes accentuent la répression au Nord du Mali. Le film est bien documenté et frôle souvent le réel. Le jeu des acteurs non professionnels, qui font une entrée remarquable au cinéma, lui donne beaucoup d’humanisme. Pour en ajouter, le réalisateur a choisi deux véritables frères issus du bidonville pour tenir les rôles principaux de Hamid et Yachine. « Je ne voulais pas d’acteurs professionnels pour faire ce film, car je voulais cette part de réalisme, de naturalisme et de vérité chez chacun de ces comédiens ». Mais Dieu n’a pas besoin de ces montures humaines pour aller à la conquête du monde. Comme la balle qui, jetée par des enfants dans la dernière scène roule, vers un lieu inconnu, ainsi roule le destin des jeunes des bidonvilles, et il appartient à l’Etat et aux adultes de les orienter vers un destin fait de modération et de tolérance.

Stéphanie Dongmo à Cannes


Fiche technique :

Titre : Les Chevaux de Dieu

Réalisateur : Nabil Ayouch

VO : arabe

Scénario et dialogue : Jamal Belmahi

Photo : Hichame Alaouie

Montage : Damien Keyeux

Son : Zacharie Naciri

Casting : Abdelhakim Rachid (Yachine), Abdelilah Rachid (Hamid), Hamza Souidek (Nabil), Ahmed El Idrissi el Amrani (Fouad).

Production : Les films du nouveau monde (France), Ali N’ production (Maroc), YC Aligator (Belgique)…

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