mercredi 30 mai 2012

Critique : Pain, liberté, dignité…

C’est sous ce slogan que les manifestants de la place Tahrir au Caire impulsent la révolution, dans le film « Après la bataille » de l’Egyptien Yousri Nasrallah, seul film africain en compétition officielle pour la palme d’or à Cannes. Un sujet intéressant desservi par un scénario balbutiant. Descendu par la critique, le film est passé très loin de la Palme d’or, décernée le 17 mai 2012.

Une scène du film avec Mahmoud et Rim.

Les 23 et 24 mai derniers, près de 50 millions d’Egyptiens ont été appelés aux urnes pour le premier tour de l’élection présidentielle. 15 mois après la révolution qui a renversé Hosni Moubarak, le pays reste en crise, le peuple est désenchanté et divisé. C’est ce désenchantement et ces divisions post-révolution que Yousry Nasrallah a essayé de mettre en lumière dans son dernier film baptisé à juste titre « Baad el mawkeaa », en français « Après la bataille ».

Le film d’actualité prend pour prétexte une histoire d’amour improbable pour traiter d’un sujet politique. Mahmoud (Bassem Samra) est un cavalier illettré et pauvre. Il fait partie des personnes qui, le 2 février 2011, ont chargé les manifestants sur la place Tahrir au Caire. Manipulé par les hommes du régime Moubarak qui sont pour l’immobilisme qui protègera leurs intérêts, Mahmoud pense que c’est la solution pour ne pas ôter le pain de la bouche de ses enfants. Il ne peut plus vivre du tourisme car les étrangers ont déserté l’Egypte. Pire, 22 ans après la chute du mur de Berlin, un autre mur de la honte a été construit à Nazlat, son quartier, pour barrer l’accès des pyramides aux populations afin de les contraindre à s’en aller.

La rencontre de Mahmoud avec Rim (Mena Shalaby), journaliste et militante pour la révolution, et surtout le baiser qu’elle va lui donner un soir, va changer sa vie et ses perspectives. Mais après la bataille, les plaies tardent à cicatriser. Ce d’autant plus que grâce à Facebook, personne n’a oublié « les cavaliers de la place Tahrir » dans un pays où se prononcer contre la révolution est un crime. L’amour (ou l’amitié ?) de Rim sera pour lui une commission vérité, justice et réconciliation qui va lui permettre de se débarrasser de ses démons pour faire face. Pour Yousri Nasrallah, les victimes ne sont pas toujours du côté qu’on croit : « j’avais vu 150 fois la charge des chameaux à la télé, et j’étais à 100% convaincu que ceux qui les montaient étaient armés. Au moment d’utiliser ces séquences dans mon court métrage (Collectif 18 jours, 2011), je découvre stupéfait qu’ils n’ont pas d’armes, et que ceux qui se sont le plus fait rosser, ce sont les cavaliers », raconte le réalisateur sur la plaquette de présentation de son film.
Pain, liberté, dignité

« Après la bataille » est fort de signification politique, au moment où le peuple égyptien, qui a perdu ses illusions, vote pour un avenir incertain. D’après le réalisateur, « la véritable révolution n'a pas encore commencée, ce qui a commencé c’est le sentiment révolutionnaire ». Ce film exprime sa peur de constater que la révolution n’a servi à rien, entre les candidats islamistes et les hommes du régime Moubarak qui se disputent le pouvoir. « Je percevais ce qui me semblait un leurre: la croyance en la jonction du peuple et de l’armée. C’est l’armée qui possède ce pays, c’est elle qui le gère, et qui le gère mal depuis Nasser. Je voyais aussi se dessiner le piège du projet constitutionnel, tel qu’il s’est concrétisé avec le référendum du 19 mars, avec un rafistolage qui ne règle rien et qui fonctionne comme un chantage imposé par les islamistes ».  Comme pour conjurer le mauvais sort, le slogan de la révolution est plusieurs fois répété dans le film : pain, liberté, dignité. Mais pas seulement en Egypte. Au cours d’une conférence de presse, l’auteur de « La porte du soleil » (2004), un film qui dénonce le problème palestinien, a annoncé qu’il ne diffuserait pas ses films en Israël « tant que ce pays occupera les territoires de la Palestine ».

Le seul film africain en compétition officielle pour la Palme d’or à Cannes a une dimension documentaire, en restant cependant une fiction. Mais tourné sans véritable scénario, à la va-vite pendant que les évènements réels se déroulaient, le film manque d’épaisseur sur un sujet dont on attendait beaucoup. Mais en Egypte, l’espoir est permis. Sur un pan du mur de Nazlat sur lequel joue un enfant, l’on voit des pyramides et des chameliers. Allégorie d’une future Egypte prospère, celle des Pyramides.

Stéphanie Dongmo à Cannes



Fiche technique

Titre : Après la bataille

Réalisateur : Yousry Nasrallah

Scénario et dialogues : Omar Shama, Yousry Nasrallah

Montage : Mona Rabi

Son : Ibrahim dessouky

Durée : 2h05

VO : arabe

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