samedi 19 mai 2012

Réflexion sur le livre en Afrique francophone

La Bibliothèque nationale de France a organisé un atelier sur ce thème le 15 mai dernier. Occasion de revenir sur les nombreux problèmes qui minent le secteur et de proposer quelques solutions.

Des conférenciers autour de la table.

« 60 ans après les indépendances, l’édition en Afrique n’arrive pas à prendre son essor. Le nombre de titres édités ne cesse de diminuer depuis les années 60. Le livre y est trop souvent encore un objet de luxe ». C’est en ces termes que Luc Pinhas, maître de conférences à l’université de Paris 3 et vice-président de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, a brossé le portrait de l’édition en Afrique francophone. Il ouvrait ainsi une série d’exposés sur le thème « Le livre en Afrique francophone », à l’occasion d’un atelier au petit auditorium de la Bibliothèque nationale de France (BnF), le 15 mai 2012 à Paris.

Car avec 1,4% de la production éditoriale mondiale, le secteur du livre peine à prendre son essor en Afrique francophone. Les problèmes sont énormes, que les conférenciers ont énumérés volontiers : le prix élevé du livre, l’absence de politique publique active en faveur du livre, l’exigüité du marché, la faiblesse du taux d’alphabétisation, le multilinguisme, la pauvreté et la vétusté des collections, l’amateurisme des professionnels du secteur, l’absence de circuit de distribution, la cherté des entrants, le manque de communication autour des ouvrages publiés, l’absence des éditeurs locaux à l’étranger et la concurrence des éditeurs étrangers. Luc Pinhas l’affirme, la grande masse de livres vendus en Afrique francophone viennent de l’étranger. Et même des maisons d’édition historiques comme Clé à Yaoundé « se sont enfoncées dans une longue crise à partir des années 80 ». Mais l’on peut se réjouir : de nombreuses jeunes structures sont nées entre les années 90 et 2000. Un bémol cependant : malgré l’engagement de leurs promoteurs, elles restent très fragiles.

La qualité ou la quantité ?

Parmi ces maisons nées il y a moins de 15 ans, on peut citer Les Nouvelles éditions ivoiriennes (NEI), Ifrikiya et Presses universitaires d’Afrique au Cameroun, Le ruisseau d’Afrique au Niger, Le Figuier au Mali… « Ces nouveaux éditeurs portent l’espoir de l’édition en Afrique », soutient Luc Pinhas. Un espoir qui risque d’être vain si elles ne sont pas soutenues bientôt. Aussi propose-t-il la co-édition comme une solution idéale pour contourner les problèmes du livre dans cette partie du monde. Et justement, depuis 2007,  l’Alliance internationale des éditeurs indépendants dont il est le vice-président, a entreprise des coéditions solidaires à travers la collection « Terres solidaires » (huit titres jusqu’ici). Ces coéditions reposent sur un principe de restitution au Sud de textes littéraires des auteurs africains publiés initialement au Nord, pour un coût réduit au final.

Mais tous les éditeurs ne traversent pas les mêmes difficultés. Méliane Kouakou Yao a ainsi présenté le succès de la collection Adoras (trois livres par trimestre) qu’elle dirige au sein des éditions NEI. Un succès qu’elle explique par le fait que « cette collection épouse les évolutions de la société africaine ». Alors, Adoras, un modèle à copier ? Bernard Magnier, le directeur de la collection « Terre africaine » aux éditions Actes sud, tempère cet enthousiasme. Parlant des publications de Adoras, présenté par Méliane Kouakou Yao comme un moyen de susciter le goût de la lecture chez le public africain, il prévient : « on va vers un populisme dommageable pour l’art » avec ces romans aux histoires populaires et à l’écriture peu élaborée.

L’enfant, l’espoir de l’homme

Pour Viviana Quinones, bibliothécaire spécialiste de la littérature de jeunesse d’Afrique et des Caraïbes à la BnF, promouvoir le livre de jeunesse est une solution pour l’édition en Afrique francophone. Malheureusement, assène Mamadou Aliou Sow, le directeur général du Soprodiff spécialisé dans l’édition et la distribution en Guinée, « l’école ne prépare pas les gens à la lecture. Il manque à l’Afrique francophone cette perspective de former des lecteurs de demain ». Pour lui, l’avenir du livre, même en Afrique, passe par l’édition électronique qui pourrait combler le vide du papier et régler du coup le problème des stocks d’invendus. Autres solutions proposées : que les auteurs nationaux figurent dans les programmes scolaires, qu’ils occupent enfin la première place dans les librairies africaines.

Les ateliers du livre de la BnF, qui se déclinent sous forme de journée d’études, sont un rendez-vous régulier sur le livre et son univers contemporain. L’atelier du 15 mai est le premier qui, depuis 2002, s’intéresse à l’Afrique. S’il a le mérite d’avoir mis le sujet sur la table, il est malheureusement resté sur des sentiers battus. Ce d’autant plus que les intervenants, qui vivent en France pour la plupart, ont restitué beaucoup de lieux communs et de clichés du fait de leur méconnaissance du terrain. A leur décharge, l’inexistence des statistiques fiables et la rareté de l’information, en l’absence de catalogues sur les publications. Et c’est de justesse que l’atelier a évité de s’enliser dans le débat « qu’est-ce que la littérature africaine ? »

Stéphanie Dongmo à Paris                     

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