vendredi 30 novembre 2012

Cinéma / critique : Noires cités, roses sentiments


A travers le langage des adolescentes des banlieues, Les roses noires, le documentaire de Hélène Milano, interroge leur rapport au monde et à la France, aux garçons et à la féminité. Un sujet intéressant desservi par une forme sans grand intérêt.

Une scène du film
Elles ont entre 13 et 18 ans. Elles ne sont plus des enfants, mais pas encore des femmes. Elles sont d’ici par leur naissance et d’ailleurs par leur ascendance. Dans cet entre-deux, elles sont prises en étau entre la langue de leurs parents et le français enseigné à l’école. Le « langage des banlieues », qu’elles appellent « wesh », semble alors une juste compromission. C’est un mélange du français et de toutes les langues que l’on retrouve dans les cités qu’elles habitent, de l’arabe au ouolof, en passant par le comorien et le portugais. Une langue créole qui ressemble à la France d’aujourd’hui, profondément hybride.

Hélène Milano donne la parole à 14 filles de banlieue pour que, à travers le fil conducteur de la langue, elles s’interrogent sur leur rapport aux garçons et à la féminité, au monde et à la France. « On est rejeté par la France », dit Hanane ; « ils ne veulent pas de nous », renchérit Moufida. Le sentiment d’exclusion est très fort.

Dans ce pays assimilationniste, « le langage des banlieues » apparaît comme une résistance, une fracture linguistique qui vient en renfort à la fracture sociale. Mais en ces temps où le chômage campe devant les portes, parler correctement le français est un atout et elles le savent. Placées en situation officielle d’entretien, les adolescentes essaient tant bien que mal de rentrer dans la norme langagière.

La féminité en question
Qu’elles soient du 13 (Marseille) ou du 93 (Le Blanc-Mesnil, Stains, Saint-Denis, Montfermeil, Clichy-sous-bois), les adolescentes filmées rencontrent les mêmes problèmes et en parlent sans tristesse. Garçons manqués, elles doivent assumer leur féminité et doutent de l’avenir. Mais leur plus grande peur ? Les garçons. Qu’ils leur prennent leur virginité ou leur bâtissent une réputation de fille légère. Pour évoluer dans ce monde incertain, elles se sont fabriqué une carapace d’insolence et d’agressivité. Qui peut être mis sur le compte de la vie en banlieue ou de l’adolescence.

Hélène Milano.
Construit en plusieurs parties sur une narration sans intérêt qui va du langage aux garçons, en passant par la féminité, le documentaire raconte, au final, une histoire lisse qui sélectionne ce que les filles ont en partage et gomme ce qui fait la particularité de chacune d’elle. Le résultat est le regard que la réalisatrice pose sur la réalité, corroboré par des morceaux choisis d’interviews face caméra.

N’empêche, le film choral de Hélène Milano est révélateur et attendrissant. Ce documentaire social répercute les bruits et les rires, les peines et les peurs des filles qui racontent la banlieue de l’intérieur. Pour approfondir ce propos, il leur donne exclusivement la parole. La réalisatrice française, par ailleurs actrice et metteuse en scène, montre ces jeunes filles sans fard, avec la même délicatesse qu’elle a mis dans Nos amours de vieillesse (2005), son premier film documentaire. Les roses noires rend hommage, selon la définition de Hanane, 14 ans, à ces « femmes à la féminité cachée ».   

Hélène Milano ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. La seconde partie de ce projet donnera la parole aux garçons des banlieues, pris en otage entre la représentation de virilité et le sentiment de danger qu’ils symbolisent pour les filles.
Stéphanie Dongmo

Fiche technique
-          Date de sortie : 28 novembre 2012
-          Durée : 74min
-          Réalisatrice: Hélène Milano
-          Producteur : Comics strip production
-          Distributeur : Art Cinefeel

mercredi 28 novembre 2012

Brigitte Rollet : «Les réalisatrices africaines ne sont pas vues»


Chercheur au Centre d'histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC) de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines en France, elle a organisé un colloque international sur les « 40 ans de cinéma » de réalisatrices d’Afrique francophone, les 23 et le 24 novembre à Paris au Musée du Quai Branly et à la Bibliothèque nationale de France (BnF). Elle parle de l’enjeu de cette rencontre et des difficultés que rencontrent les femmes réalisatrices en Afrique.

Brigitte Rollet

Qu’est-ce qui vous a motivé à organiser ce colloque sur les 40 ans de cinéma des réalisatrices d’Afrique francophone?
En étudiant l’histoire des réalisatrices françaises, je me suis rendu compte qu’il y avait les mêmes problèmes de financement et les mêmes problèmes d’image. Ces réalisatrices ont toujours été un petit peu marginalisé dans les ouvrages d’histoire du cinéma. Il y a le fait de ne pas intégrer que le cinéma africain est aussi fait par les femmes. Je me suis dit qu’il fallait célébrer ces femmes qu’on ne célèbrera sans doute jamais et marquer l’émergence d’un cinéma fait par les femmes en Afrique.

Historiquement, la première réalisatrice africaine est la Camerounaise Thérèse Sita Bella avec son film Tam-tam à Paris en 1963, mais vous avez plutôt choisi la Guadeloupéenne Sarah Maldoror comme pionnière. Pourquoi ?
C’est vrai qu’il y a eu Sita Bella mais les films de Sarah Maldoror et de Safi Faye ont marqué. Je ne pense pas qu’on pourrait dire la même chose du film de Sita Bella parce qu’il est moins connu, il y a beaucoup de gens qui ignorent son existence, je ne sais pas où on peut le voir. C’est aussi le cas pour La passante de Safi Faye. En organisant ce colloque dans un lieu comme la BnF, je voulais aussi montrer la difficulté de garder un patrimoine de ces films,  rappeler qu’il y a des films qui disparaissent.

Quel est l’histoire des réalisatrices d’Afrique francophone ?
Elle varie selon les pays, selon qu’il y a une volonté politique de promouvoir le cinéma. Mais les femmes sont toujours un peu le parent pauvre du développement de la cinématographie, surtout dans les sociétés où les différences de sexe font que la place d’une femme n’est pas derrière la caméra. Quand on cherche des femmes, on les trouve. Mon souhait c’était de rendre visible cette histoire.

Quels sont les problèmes spécifiques que rencontrent les réalisatrices d’Afrique francophone ?
Le cinéma reste une activité pensée comme masculine. Le fait qu’il y a beaucoup de femmes réalisatrices n’empêche pas cette perception, et les réalisatrices africaines ne sont pas vues. Il y a des trajectoires individuelles, mais il y a les développements ou non des politiques cinématographiques dans les pays. Dans les pays où il y a eu véritablement une volonté politique de développer le cinéma, il y a eu plus de femmes réalisatrices que dans les pays ou, au contraire, cette préoccupation n’existe pas. C’est une question de financement. Le cinéma est un art coûteux, il y a quand même, malgré tout, des hésitations des producteurs à confier des budgets élevés à une femme. Et on ne prête qu’aux riches. Si on ne peut pas faire ses preuves, on ne peut pas justifier de recevoir un budget important, c’est une situation que les réalisatrices africaines partagent avec de nombreuses réalisatrices occidentales.

De plus en plus de festivals de films de femmes se créent dans le monde. Est-ce que ces festivals spécialisés sont la solution ?
Les festivals de films de femmes, c’est une solution pour que ces films soient vus. Après, la question est de savoir si on donne ou non la possibilité à ces films d’exister en dehors des festivals, et ça c’est le problème du cinéma africain en général. C’est un cinéma qui est beaucoup financé mais qui a du mal à trouver de la place dans les salles en sorties normales. C’est un phénomène global. Si les festivals de films de femmes permettent aux films d’être vus, ça ne peut avoir qu’un effet positif pour les femmes qui font du cinéma en Afrique.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo

mardi 27 novembre 2012

Léonora Miano : «Je refuse qu’on me dicte le contenu de mes livres»

L’auteure du recueil de conférences « Habiter la frontière » explique qu’il s’agit de mettre en relation toutes les identités qui composent un individu. Elle parle aussi de la relation entre l’écrivain noir et son éditeur blanc et pose un regard sévère sur le Cameroun.


C’est quoi, habiter la frontière ?
Pour moi, c’est une manière poétique de me définir puisque je considère que mon identité est faite d’un assemblage des choses et que finalement, je suis en relation avec des mondes différents. Je n’envisage pas le terme de frontière comme les Occidentaux pour qui c’est là où la porte se ferme, un lieu de rupture, l’endroit qui protège de l’autre. Pour moi, la frontière est un lieu de médiation, là où on rencontre l’autre. Le meilleur moyen de l’habiter c’est d’accepter qu’ils soient constamment en relation, cette part européenne et cette part africaine. Quand on vient d’un pays comme le Cameroun qui a été traversé par plusieurs nationalités européennes différentes, qui a deux langues officielles, où le côté disparate de ses populations et de leur culture est très visible, où il y a tellement de langues locales dont aucune n’est dominante qu’on est obligé de parler les langues étrangères pour se faire comprendre, la logique de mélange pour créer l’identité est plus évidente. Ca fabrique des identités particulières du fait qu’on est obligé d’être dans une démarche qu’Edouard Glissant aurait appelé de « créolisation ». Je crois que ma sensibilité frontalière vient de là.

Vous dites que l’Africain est un hybride culturel. Mais la question ne se pose pas de la même manière selon que l’on vive en Afrique ou à l’étranger ?
Certainement. Je pense d’ailleurs que quand on vit en Afrique, on n’a pas forcément conscience de cette hybridité. Or, la rencontre entre l’Europe et l’Afrique a modifié énormément de choses dans nos espaces. Peut-être que je m’en aperçois un peu plus parce que je cherche à reconstituer, de manière même empirique, notre passé. Pour la zone Afrique centrale, si on essaie d’imaginer la vie dans les temps précoloniaux, il est difficile de savoir précisément ce qu’on mangeait. Le manioc ? Ce sont les Portugais qui l’ont amené, le piment vient d’Asie, mais on se les a totalement approprié. Quand Kelman a écrit son ouvrage « Je suis noir et je n’aime pas le manioc », tout le monde lui est tombé dessus. Mais si on réfléchit bien, les Noirs ne devraient pas aimer le manioc. L’histoire des populations subsahariennes, à partir de l’époque de la traite négrière, est une histoire d’adaptation et de survie. Et quand elle se termine, la colonisation commence avec beaucoup de brutalité. La peur, le fait de devoir se protéger, ça change votre vision du monde, votre rapport à votre propre espace. On n’a pas réfléchit à ce que tout ça fait de nous aujourd’hui. Je pense que notre génération peut commencer à faire ce travail. Je n’en veux pas aux auteurs qui nous ont précédés de n’avoir pas pu le faire, ils se débattaient avec la colonisation et la priorité, c’était de se sortir de cette domination.

Vous préférez le terme subsahariens à africain. L’Afrique ne se limite pourtant pas au Sud du Sahara ?
Non mais moi, je veux parler de l’Afrique subsaharienne. C’est ma petite révolte, ça fait partie de toutes les désignations qu’on nous a jeté dessus sans nous demander notre avis. J’aimerais bien savoir si nos ancêtres avaient une connaissance globale de leur espace et comment ils l’appelaient. Quand on dit l’Afrique ici en Europe, c’est l’Afrique subsaharienne et le Maghreb, c’est le Maghreb, y compris pour un grand nombre de Maghrébins. Donc, j’estime qu’on devrait avoir un nom spécifique. Pour moi, le nom c’est quelque chose d’important, peut-être que ça va rester un délire d’écrivain ou que je ne verrai pas ça de mon vivant. Mais je crois que même si on ne se rebaptise pas, il est très important de donner au nom qu’on porte une signification qu’on a soi-même choisi ou en tout cas, qui a du sens pour nous. Je ne suis pas sûre que depuis qu’on nous a appelé Noirs, ça veut dire quelque chose pour nous. Mais ça veut dire quelque chose pour les gens qui nous ont appelés à partir des mots ne venant pas de nos langues.

Vous écrivez que l’urgence en Afrique n’est pas la politique ou l’économie, mais plutôt de développer une conscience forte de soi. Mais comment se définir lorsqu’on a subit la traite négrière, l’esclavage, la colonisation et le néocolonialisme ?
Je crois que même si les temps sont durs, on peut quand même commencer à examiner notre histoire et nous demander ce qu’on a envie d’apporter au monde. Il faut déjà se pardonner d’avoir été défait. Même s’il y a eu défaite, on a su survivre alors que d’autres peuples ont disparu. Aux Etats-Unis aujourd’hui, on se rend compte que même quand on parle des minorités, on ne parle même pas des Amérindiens. Ils sont dans leurs réserves et on ne rêve même pas du jour où il y aura un président amérindien. L’Afrique n’en est pas là. Elle a été très blessée, elle a elle-même enfanté certains de ses bourreaux, mais elle a fait la preuve de sa solidité. Il faut prendre conscience de ce qui nous reste de beau, de ce qu’elle peut accomplir. Je ne tais pas certaines horreurs qui ont pu se jouer dans nos espaces mais l’horreur est humaine. Nous ne sommes pas les plus sanguinaires, ni les plus ignorants. C’est très important de se regarder avec un peu d’amour. J’ai l’impression que certains Africains s’imaginent que l’Afrique est née avec la colonisation. On n’a pas de mémoire, il faut essayer de résoudre ce problème-là. C’est à nous aussi de décider de ce qu’on va apprendre aux gamins à l’école. Il ne revient pas aux gens qui essaient de survivre au quotidien de le faire, mais aux politiques.

Depuis votre premier roman, vous avez engagé un choc frontal avec les Africains, pour les obliger à se prendre en main. Avez-vous le sentiment d’avoir été entendu ?
Entendu par les politiques ? Mais non, ils s’en foutent. J’espère que cette génération va passer, qu’ils nous redonnent notre Afrique. On a eu des gouvernants qui se comportent avec les populations comme si elles étaient leurs ennemis. On a peut-être la palme d’or des gens qui piétinent leur peuple à ce point, qui le méprise si profondément…

Parlant d’hommes politiques, Paul Biya célèbre aujourd’hui (6 novembre 2012) ses 30 ans au pouvoir. Quel sentiment vous inspire cet anniversaire ?
C’est une aberration ! J’ai grandi dans un pays dont on était fier, on aimait être Camerounais et j’ai l’impression qu’on m’a arraché mon pays. Quand je vais au Cameroun et que je mène des ateliers d’écriture avec des gamins de 17 ans qui ne savent pas que la traite négrière a existé, ça me déchire le cœur. Les gamins ont la soif d’apprendre mais tout s’est tellement dégradé. J’ai juste l’impression que c’est un autre pays qui a usurpé le mien.

Parlant de cet atelier que vous avez animé en 2011 à Douala, est-ce qu’il y a de l’espoir ?
Déjà, il faudrait que je puisse animer d’autres ateliers au Cameroun et c’est mon souhait. Je pense qu’on peut faire beaucoup de choses avec nos jeunes qui sont disposés à apprendre. Ce n’est pas de la jeunesse que je désespère, je désespère en voyant la qualité des éducateurs et l’ambiance générale au Cameroun où tout semble devenu tellement brutal. Moi, j’ai été très bien formée au Cameroun par des professeurs Camerounais, notamment au Collège Liberman, au lycée de New-Bell et au lycée Joss. Quand je suis arrivé en France, j’étais aussi bonne, sinon plus que mes camarades. Je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui, ce soit toujours la même chose.

Vous dites qu’au Cameroun, vos compatriotes vous perçoivent comme une étrangère. Pourtant, « L’intérieur de la nuit » est inscrit au programme scolaire. N’est-ce pas une reconnaissance de votre travail ?
Je me suis toujours senti un différente parce que je venais d’un milieu familial marginal. Mais je suis ravie que « L’intérieur de la nuit » soit au programme au Cameroun. Le livre avait déjà été abondamment salué à l’étranger, ce n’est pas non plus comme si c’est le Cameroun qui a fabriqué ce succès. C’est très relatif d’être au programme, les parents n’achètent pas les livres et il y a beaucoup de piraterie.

Votre livre évoque aussi les rapports entre l’écrivain subsaharien et son éditeur Blanc, quels sont-ils ?
C’est une relation personnelle. Les éditeurs qui travaillent avec moi peuvent ne pas être d’accord avec ce que j’ai envie de faire mais à la fin, c’est l’auteur qui tranche. Ils peuvent refuser des textes, c’est dans les contrats. C’est très clair et très transparent comme relation. Je suis un peu rebelle, j’ai besoin de faire ce que j’ai dans la tête. Il faut que ce soit comme ça, sinon, je ne peux pas défendre mes livres.

A quand la suite annoncée depuis 2010 de « Blues pour Elise »?
La suite de « Blues pour Elise » est prête, mais je n’aime pas tellement en parler parce que c’est des moments douloureux dans mon parcours d’auteur. Quand j’ai commencé à proposer en France des livres qui mettaient en scène des Noirs vivant en Europe, ça n’a pas été très bien reçu. En 2008 paraît « Tels des astres éteints » qui, pour moi, est un texte important dans ma production mais qui a été mal reçu par une partie de la critique. Pas en raison de sa qualité mais en raison de son propos. En France, les gens se sentent agressés par ces questions. Les auteurs noirs francophones doivent écrire des histoires qui se passent en Afrique ou dans les Caraïbes. Et si ça se passe en France, il faut que ce soit dans les milieux où les gens vivent dans des cagibis et n’ont pas de papiers. Je ne dis pas que ça n’existe pas mais ce n’est pas toute notre réalité dans ce pays. 

Quand après « Tels des astres éteints » j’ai proposé « Blues pour Elise » à mon éditeur [Plon], il a dit non, en me disant que cela va nuire à mon statut d’auteure internationale. S’en est suivi des désaccords et finalement, le livre est sorti. Mais ce sont les blogs qui ont assuré sa promotion. Quand il a été question de publier la suite qui avait été annoncée, là on s’est tellement fâché que j’ai eu l’impression que cette suite avait été entaché de cette mauvaise énergie. J’ai eu besoin de m’échapper un peu de tout ça, c’est beaucoup de violence. On est quand même très seuls dans ces moments-là, les gens n’imaginent pas qu’il faut encore batailler pour imposer des sujets comme ça. Je refuse qu’on me dicte le contenu de mes livres et qu’on m’impose d’être l’écrivain de la France noire ou de n’écrire que sur l’Afrique.

La France noire occupe une place importante dans votre livre. C’est quoi être un Noir en France aujourd’hui ?
Ça dépend pour qui. Pour les gens qui ont grandi ici, ce n’est pas la même chose que pour nous qui avons grandi ailleurs parce que l’Afrique, en dépit de toutes ses meurtrissures, donne une force que ceux qui ont grandi ici n’ont pas toujours eu, parce qu’elle nous permet de consolider notre individualité de manière plus affirmée. Quand on grandit dans une situation de minorité et qu’on ne voit jamais le reflet de soi-même nulle part, je crois que ça fragilise beaucoup. Ce n’est donc pas un hasard que, par exemple, dans le domaine de la littérature, on voit que les voix noires qui émergent soient des gens qui ont grandi en Afrique ou aux Antilles, mais pas sur le sol hexagonal. Ensuite, quand on a évacué cette question de comment on se construit, être Noir en France ça reste, pour la plupart, d’être marginalisé, de ne pas avoir voix au chapitre, de ne pouvoir s’exprimer que si les autres vous le permettent… Il n’y a pas de communauté noire en France, les Noirs n’ont pas pris l’habitude de se fédérer pour faire des choses concrètes ensemble. C’est un pays qui a obligé les gens à s’individualiser mais dans un sens négatif. En général, celui qui aura réussi à acquérir des choses aura très à cœur de les garder pour lui. Moi, je n’ai jamais réussi, même en remettant un manuscrit en main propre, à faire publier un auteur. Pour l’éditeur, vous êtes le Noir qu’il a choisi, il ne veut pas publier toute votre bande. Mais ce n’est pas aux Noirs mais aux autres de changer de regard, c’est à l’Occident de la faire.

Vous venez justement de recevoir le Prix Seligmann contre le racisme pour votre livre « Ecrits pour la parole ». Quel sentiment vous inspire cette distinction?
Ça m’a surtout touchée pour ce texte-là parce que quand il a été monté au théâtre récemment, il a été taxé de raciste. Ce prix vient un peu nous mettre du baume au cœur. « Ecrits pour la parole » est une parole qui est très libre et souvent inhabituelle. Evidemment, ce n’est pas pour bêtement agresser les gens, c’est pour entamer une conversation que je pays n’a pas forcément envie d’avoir mais qui me semble nécessaire. Je suis toujours pleine de gratitude de recevoir des prix, même si je ne crois pas encore avoir réussi à modifier le cours des choses.  Je souhaite que d’autres personnes sachent que c’est possible.

Dans vos textes, vous évoquez les tensions entre Français subsahariens et Français Caribéens. Comment se manifeste cette tension ?
Il suffit d’aller aux Antilles en étant africain pour s’en apercevoir. Ici, en France hexagonal, les rapports sont cordiaux quand ils sont individuels. Mais quand il s’agit de fédérer les groupes pour faire des choses, c’est plus difficile parce qu’il y a de vieux contentieux, il y a l’histoire… C’est une tension qui existe entre les Africains et les afro descendants liée au fait que les descendants qui n’ont pas choisis d’être dans les pays occidentaux ont du mal à voir des Subsahariens débarquer et, en quelque sorte, leur faire concurrence dans des espaces où ils ont souffert. Je crois que ce qui aiguise encore cette tension c’est le fait que l’Afrique subsaharienne n’a pas une parole claire sur ce sujet. Quand des Afrodescendants vont dans nos pays, souvent ils se rendent compte que cette histoire n’est pas enseignée et que les Subsahariens ne comprennent même pas ce qu’ils viennent chercher là, ça les heurte profondément. Pourtant, quand ces Afrodescendants viennent, ils ne sont pas remplis de haine, ils ont plutôt envie de trouver un espace qu’ils pourront appeler la maison. Pourquoi ne pas leur ouvrir cet espace-là, pourquoi ne pas créer un mémorial ou un endroit où ils peuvent se recueillir tranquillement ? Il y a quelque chose à réparer.

D’où vous vient cette sensibilité pour l’identité des Afrodescendants ?
J’ai toujours eu ces questions diasporiques très à cœur. Quand j’étais petite fille et qu’on a abordé l’histoire du Cameroun à l’école, on a commencé par la traite négrière. C’était vraiment très bref et dans notre livre d’histoire, on voyait un soi-disant chef de la Côte et il y a avait une colonne de captifs dans le fond de l’image. Ça m’a traumatisé. Et moi je veux savoir qui était ce chef, comment s’appelait-il, c’étaient qui ces gens dans le fond de l’image, où est-ce qu’on les a amenés. Petite fille, je posais déjà ces questions mais sur la Côte d’où je viens, on n’aime pas parler de ces choses-là. C’est quelque chose qui est dans mon imaginaire depuis toujours. J’ai même transmis ce traumatisme là au personnage Musango dans « Contours du jour qui vient ». Les auteurs travaillent à partir de leurs obsessions. Peut-être que c’est une espèce de folie, mais j’ai besoin de travailler cette matière-là, je cherche mes réponses, quelque chose qui me permette de la nommer. Je ne peux pas aller au Brésil où je vois des gens qui sont vraiment comme à la maison et que, de la maison, on n’entende pas une voix parler d’eux. C’est quelque chose qui m’est insupportable. C’est comme si on méconnaissait un morceau de soi-même. Au Brésil, dans la région de Bahia, il y a des gens qui sont tellement subsahariens, ça fait 400 ans et ça n’a pas pu s’effacer. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de profondément injurieux à les ignorer ? Ca dit tout de la relation qu’on a à nous-mêmes.

Quel est le but de votre association, Mahogany, qui rassemble Subsahariens et Caribéens ?
Mahogany, c’est un arbre de la famille acajou qu’on trouve dans les Amériques et en Afrique. C’est une manière de parler des peuples noirs sans utiliser une terminologie racialisée. L’objectif de l’association Mahogany est de proposer notre propre parole sur ces expériences subsahariennes et afrodescendantes à tout public, leur permettre de se croiser. On a besoin de ce dialogue et l’espace neutre de la France peut peut-être le favoriser pour qu’il puisse se prolonger ailleurs. On agit à travers des conférences, des ateliers et des rencontres autour d’auteurs, pour permettre à nos chercheurs afro de s’exprimer. L’association porte aussi un prix littéraire qu’on a décidé d’élargir aux auteurs Blancs qui écrivent des fictions qui se passent en Afrique.

Est-ce que finalement, l’écriture ne suffit pas à un écrivain pour défendre ses idées ?
A un écrivain, certainement que ça suffit. Mais moi, je suis quelqu’un qui s’engage. Et quelque livres, j’ai eu la chance de beaucoup voyager, j’ai beaucoup reçu. C’est aussi une manière de partager avec les autres. Peut-être que l’audience que j’ai peut permettre à d’autres de s’exprimer. Au début, certains m’ont demandé : pourquoi tu mets en lumière la concurrence ? Je mets en lumière les miens, je suis heureuse de les recevoir pour parler de leurs univers. Quand j’organise une rencontre avec un auteur, je vais lui poser des questions différentes, il va pouvoir se livrer d’une manière que le public qui vient n’irait pas forcément les entendre ailleurs. C’est profitable à tous.

Parmi tous vos livres, lequel chérissez-vous particulièrement ?
C’est comme si on demandait à une maman quel est son enfant préférez. Mais c’est « Tels des astres éteints ». Je suis presque entré en dépression après certaines réactions de la presse. Je l’ai porté en moi pendant longtemps, je voulais déjà l’écrire avant « L’intérieur de la nuit », je savais que je l’écrirai. Pour moi, c’est mon grand livre et j’aurais aimé avoir le Goncourt des lycéens pour celui-là.
Propos recueillis à Paris par Stéphanie Dongmo 

jeudi 22 novembre 2012

Livre : Vivre son hybridité



Habiter la frontière de Léonora Miano a paru le 1er novembre chez L’Arche. C’est un recueil de conférences dans lequel l’écrivaine qui se définit comme une « subsaharienne occidentalisée » part de sa propre expérience pour parler de l’identité des Afrodescendants et de la France noire d’aujourd’hui. Elle invite à lire les auteurs subsahariens selon leur esthétique et non selon la couleur de leur peau. Article paru sur Africultures.com.
 
Il arrive un moment où les écrivains ressentent le besoin de remonter le cours de leur vie pour se raconter, partager leurs fêlures et leurs obsessions, comme dans une thérapie de groupe. A 75 ans, Maryse Condé vient de publier sa biographie (La vie sans fards, JC Lattès). A 39 ans, Léonora Miano lâche quelques confessions. Rien de bien croustillant. Mais des explications à son écriture, des justifications de ses combats actuels. Jamais l’écrivaine camerounaise naturalisée française ne s’est laissé approcher d’aussi près dans ses précédents ouvrages : six romans, deux recueils de nouvelles, un texte théâtral.  

Habiter la frontière est un recueil de six conférences données entre 2009 et 2011 dans trois universités américaines, mais aussi au Danemark, au Brésil et en France. Léonora Miano y écrit le blues, invite à habiter la frontière, dit comment lire les écrivains subsahariens, confie les noires réalités de la France et présente les perspectives des Afrodescendants. Parce que le travail de l’artiste est le fruit d’une histoire personnelle, elle explique son intérêt pour les questions liées à l’identité des Subsahariens, mais aussi des Afrodescendants. Notamment la rencontre avec deux livres qui vont bouleverser sa vie d’adolescente : Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire et La prochaine fois, le feu de James Baldwin. Elle vit alors dans sa chair les souffrances des Caribéens et Afro-américains et se sent proche de leur hybridité culturelle. Au point d’écrire : « je suis bel et bien devenue noire en plongeant dans les textes des auteurs afrodescendants ».

Lire les auteurs subsahariens
Invitée à l’université de Michigan aux Etats-Unis en octobre 2010 pour donner une conférence sur le thème « L’état de la littérature africaine », elle exhorte les Occidentaux à cesser de noyer les identités derrière la couleur de la peau pour regarder l’Afrique comme ce qu’elle est : un continent constitué de peuples divers aux cultures variées. Elle réclame, pour elle et pour les écrivains subsahariens de sa génération, d’être lu d’une manière qui prenne en  compte son esthétique, hors des grilles africaines. Car « la plante ne se réduit pas à ses racines, mais ces dernières peuvent être remportées, s’épanouir dans un nouveau sol ». 

Léonora Miano consacre beaucoup de pages pour parler de la France noire et décrit une situation peu reluisante : « Etre Noir en France aujourd’hui, c’est avant tout être dans une situation d’impouvoir. C’est ne pas maîtriser sa propre image, puisqu’elle est fabriquée par d’autres (…) Etre Noir en France et parler des Noirs, c’est constituer une menace (…) Etre Noir en France c’est se voir refuser de s’approprier ses grandes figures ». A la France qui se plaît à penser qu’elle est un pays de Blancs, Miano dit qu’elle est hybride, ayant été transformée au contact des autres peuples, même si elle les a dominés. Habiter la frontière pour ce pays serait de mettre en relation ces deux parts de lui-même, ses enfants Blancs et Noirs. L’écrivaine se revendique une identité frontalière, du fait de sa multi-appartenance : « je suis, depuis toujours, une Afro-occidentale parfaitement assumée, refusant de choisir entre ma part africaine et ma part occidentale ».

Les problématiques de ce recueil se retrouvent, pour la plupart, dans Blues pour Elise, Tels des astres éteints et Afropean soul, à plus ou moins faible dose. Ici, elles sont énoncées de manière plus approfondie qui permet de mieux comprendre l’univers esthétique et les enjeux du combat que Léonora Miano mène depuis 2010 à travers l’association Mahogany, dont l’objectif est de permettre le dialogue entre Subsahariens et Afrodescendants. Pour qu’enfin, l’Afrique se regarde avec amour et tende la main à ses enfants perdus.
Stéphanie Dongmo

dimanche 18 novembre 2012

Jeremy Beschon et Tassadit Yacine-Titouh : Rendre les sciences sociales accessibles par le théâtre

Le metteur en scène du collectif Manifeste rien créé en 2007, adapte sur scène des textes de l'anthropologue spécialiste du monde berbère : des fables kabyles anciennes mises en parallèle avec la vie politique d'aujourd'hui. Article paru sur www.africultures.com

Jeremy Beschon et Tassadit Yacine-Titouh

Vous mettez en scène au sein du collectif Manifeste rien un spectacle intitulé Chacal, la fable de l'exil. Sur quoi porte cette pièce ?
Jeremy Beschon : On construit une pièce autour des textes de Tassadit Yacine-Titouh, Le roman de chacal et Chacal ou la ruse des dominés, qui sont des analyses anthropologiques des fables animalières, de la mythologie kabyle et plus généralement, berbère. On est face à des œuvres d'une extrême richesse qui permettent d'éclairer les différents rapports de domination. Ca nous permettait de travailler sur des thèmes qui ont déjà été explorés par des sociologues de manière un peu plus savante comme l'a fait Abdelmalek Sayad ou Bourdieu, mais à partir d'un matériau directement plus universel puisque les fables s'adressent d'abord à des enfants.
Vous avez travaillé à réécrire ces fables autour d'un seul récit…
J.-B. : C'est un solo de théâtre, la conteuse est Settoute, première mère du monde kabyle devenue sorcière. C'est ce personnage qui va raconter l'histoire de chacal : chacal et le lion, chacal et le hérisson, sachant que les animaux ont une forte portée symbolique. Le lion est celui qui a le pouvoir, le chacal est la figure de l'intellectuel qui met à nu ou non la puissance et la violence du dominant, c'est aussi celui qui est en contact avec les plus faibles. Ce sont là les analyses de Tassadit.
Pourquoi parler de la fable de l'exil ?
J.-B. : On a travaillé sur les figures de l'exil, dont chacal. En dévoilant les rapports de force du lion, chacal va se faire exiler du royaume. Il va alors rencontrer d'autres animaux plus faibles que lui dont le hérisson, et essayer de reconstruire un autre ordre.

Tassadit Yacine-Titouh : Les fables sont des prétextes. Par exemple, la question de l'assimilation nous est offerte par le texte lui-même. Pour pouvoir manger les petits de la laie, les marcassins, le chacal va simuler qu'il est un enseignant. Ça, c'est au sens premier. Au sens second, cela veut dire que la mère vit dans la forêt parce qu'elle est considérée comme sauvage. Pour rentrer dans le monde de la culture, il faut que ses enfants meurent symboliquement. Et là, le rapport avec l'immigration est très fort : les parents qui sont associés au côté sauvage sont restés tel quel. Mais les enfants sont complètement intégrés par une autre langue, par le fait qu'ils pensent autrement. Les populations d'immigrés ne viennent pas de nulle part, elles ont une histoire, toute une mémoire collective. Pour nous, c'était aussi une manière de travailler à cette mémoire-là et d'encourager à sa réactivation.

Et pourquoi le chacal ?
T.Y-T : Le chacal c'est la mobilité, c'est quelqu'un qui erre. Il est tantôt homme, tantôt femme, il est du côté du pouvoir et du côté de la base… C'est cette mobilité qui caractérise aussi l'immigré qui est sur deux mondes. Cette figure du chacal peut être absolument positive comme elle peut être négative. Le chacal devient un lien social, quelqu'un qui travaille à l'hybridité culturelle.

Dans la pièce, vous replacez les critiques des fables sur les faits d'actualité ?
J.B. : Dans les fables telles qu'elles ont été transcrites par Brahim Zellal (Le Roman de chacal), cette scène entre la laie et le chacal était une critique de l'école coranique. Ces critiques symboliques, nous, on les a replacées sur l'école républicaine. Le progrès qu'on nous présente aujourd'hui est loin d'être une panacée. C'est une forme de normalisation que l'on retrouve aujourd'hui aussi bien dans les petites écoles que dans les plus hautes sphères.

T.Y-T. : On dit aux immigrés : si vous voulez vous intégrer, il faut absolument effacer ce que vous étiez avant pour devenir un autre. Pourtant, en s'intégrant, on devrait pouvoir rester soi-même.

J.B. : La question c'est comment atteindre l'universel en partant du local, sans s'enfermer soi-même dans une crise identitaire.
Tassadit, quelle appréciation faites-vous de cette adaptation de vos textes ?

T.Y-T. : Ce qui m'a intéressé dans leur travail, c'est de voir comment ils arrivent à vulgariser les sciences sociales qui sont quand même des textes assez denses. Les matériaux sont populaires mais l'analyse ne l'est pas. Toute l'intelligence de la mise en scène, c'est d'arriver à rendre l'analyse accessible.
Comment, justement, rendre accessibles les textes savants de sciences sociales ?

J.B. : Les sciences humaines et les sciences sociales sont moins compliquées qu'on le croit, la littérature, le théâtre et les recherches en sciences sociales sont beaucoup moins cloisonnés. C'est-à-dire qu'un travail savant de Tassadit s'appuie sur la littérature populaire orale, et la littérature populaire orale c'est la base du théâtre. Ce n'est pas toujours facile de les mettre en scène. J'y arrive parce que j'avais déjà lu des ouvrages plus savants de Tassadit et j'en étais imprégné. Virginie Aimone, avec qui on a déjà travaillé sur une autre pièce [La domination masculine, avec des extraits de Pierre Bourdieu et des textes de Tassadit Yacine-Titouh], connaît aussi ses positions vis-à-vis du pouvoir, du rôle des intellectuels, de la manière de considérer les immigrés. On arrive à penser ensemble que le théâtre est un moyen de lutte mais aussi un mode d'émancipation de soi et des autres. Sur scène, elle joue tous les personnages dans un langage contemporain, en faisant ressortir ces matériaux mythologiques en résonance avec notre monde. On s'est inspiré de l'art populaire et on n'a pas hésité à aller puiser dans les choses qui font penser au one-man-show et au théâtre musical, à travailler à des improvisations.
C'est le second spectacle sur lequel vous collaborez, comment s'est faite la rencontre entre le collectif marseillais Manifeste rien et Tassadit Yacine-Titouh ?
J.B. : J'ai d'abord rencontré Tassadit parce que je voulais adapter La domination masculine, chose qu'on a faite sous la forme d'un solo de théâtre avec Virginie Aimone. Et en travaillant sur ces textes-là, je me suis mis à lire les analyses de Tassadit sur la littérature populaire.

T.Y-T. : En lisant Bourdieu, il a commencé à remonter le fil pour voir ce qu'il pouvait mettre en scène. Il est allé lire les sources et c'est comme ça qu'il m'a découverte, d'abord pour l'aider à comprendre Bourdieu. Il a retrouvé mes textes dont certains ont pu servir d'illustration à ce que dit Bourdieu de façon très dense et très concentrée.
Quelle est la place de la fable dans notre société contemporaine ?
T.Y-T. : Je ne pense qu'aujourd'hui, il y ait une place importante réservée à la fable. Les enfants apprennent le "jeu politique" ailleurs, par le biais de la télé, des bandes dessinées…

J.B. : Tout ce qui est de l'ordre des cultures populaires tend à disparaître. Pourtant, la fable et le mythe permettent aussi au comédien d'aller plus loin parce qu'il faut qu'il se dépasse, qu'il se sente investit par un travail plus grand que lui.
Et quelle est la place de la culture kabyle en Algérie d'où vous êtes originaire ?
T.Y-T. : Aujourd'hui, on a fini par la reconnaître mais elle n'a pas la même place que les autres cultures, notamment la culture arabe. En intitulant son livre Le roman de chacal, c'était pour Brahim Zellal une manière de montrer qu'en tant que dominé, il y avait une culture et une identité à défendre. Après les indépendances, ces habitants des montagnes qui ont beaucoup lutté pour l'indépendance vont se retrouver privés de reconnaissance parce que la nouvelle nation va se former sur le modèle français : un territoire, une langue, une culture.


Où se situe ce spectacle par rapport au cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie célébré cette année ?
J.B : Chacal, la fable de l'exil est coproduite par la Cité nationale de l'Histoire de l'immigration et s'inscrit dans le cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie. Je me suis dit : on va parler beaucoup de l'Algérie mais très peu de berbère, alors que 80 % des Algériens sont Berbères. Il y a bien là une question à poser qui me renvoyait à moi-même : est-ce que je suis Marseillais, est-ce que je suis Français et quels sont mes repères par rapport à ça ? Les commémorations sont importantes si on met au milieu ceux qu'on n'entend jamais.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo
 
Les prochains spectacles : Samedi 8 décembre 2012 à 20 heures et dimanche 9 décembre à 16 heures à la Cité nationale de l'Histoire de l'immigration, palais de la Porte dorée.
Représentation suivie d'un débat en présence de Tassadit Yacine-Titouh
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