vendredi 7 décembre 2012

Conférence : le cinéma des femmes d’Afrique francophone


Elles sont présentes devant la caméra dans des productions africaines. Depuis les années 70, elles passent derrière. Mais elles restent les grandes inconnues des cinémas d’Afrique. Pour mettre en lumière le travail de ces professionnelle, un colloque international sur les 40 ans de cinéma des réalisatrices africaines francophones s’est tenu les 23 et le 24 novembre au Musée du Quai Branly et à la Bibliothèque nationale de France à Paris. L’occasion de refaire l’histoire des cinémas d’Afrique au féminin et en difficultés.

Une vue des participantes à la conférence.

Historiquement, le premier film d’une Africaine francophone est Tam-tam à Paris, un court métrage de la Camerounaise Thérèse Sita Bella (1933-2006), réalisé en 1963 sur les danses au Cameroun. Le cinéma des réalisatrices d’Afrique francophone a donc 49 ans. Mais le colloque a choisi comme pionnière la Guadeloupéenne Sarah Maldoror pour son film Sambizanga, tourné en Angola et sorti en 1972. Brigitte Rollet, organisatrice du colloque, explique que le film de Sarah Maldoror a davantage marqué et est disponible, contrairement à celui de Sita Bella, moins connu.

Des luttes féministes à l’ouverture au monde
Directrice du Centre pour l’étude et la recherche des femmes africaines dans le cinéma, Beti Ellerson a fait l’historique du cinéma des réalisatrices d’Afrique : la caméra était réservée aux hommes, les femmes n’osaient pas rêver, elles se sont confrontées aux sociétés qui refusaient de s’ouvrir au monde. Mais au fur et à mesure, la société les a acceptées comme artistes. C’est ainsi qu’en 1963, Thérèse Sita Bella réalise « un film dont on parle beaucoup mais qu’on n’a jamais vu ». Après avoir joué dans Petit à petit de Jean Rouch en 1971, la Sénégalaise Safi Faye réalise le court-métrage La passante en 1972, et le long métrage Lettre paysanne en 1975.

Avant cela, Sarah Maldoror, africaine d’adoption, a tourné en 1969 à Alger Monagambée, son premier court métrage sur la torture. En 1972 sort Sambizanga, son long métrage qui retrace la mort sous la torture de Domingos Xavier, un activiste du Mouvement de libération de l’Angola, mais surtout le combat de sa compagne pour le retrouver. Pour Beti Ellerson, Sarah Maldoror a contribué au cinéma de libération en Afrique. C’est une référence pour de nombreuses réalisatrices africaines. Dans les années 80 arrivent les femmes du Maghreb, avec des figures comme l’Algérienne Assia Djebar et son film La Nouba des Femmes du Mont-Chenoua en 1977 et la Marocaine Farida Benlyazid avec Une porte sur le ciel en 1988. Au Fespaco 1991, l’Union panafricaine des femmes professionnelles de l’image (UPAFI) est créée, dans le but d’assurer la représentation visuelle des femmes et l’égalité dans la formation professionnelle.

Comme l’a rappelé Beti Ellerson, l’émergence des femmes dans le cinéma a coïncidé avec les années 1960 où les Africains se sont approprié la caméra pour montrer autre chose que le regard colonial. Mais après les luttes coloniales, les réalisatrices ont porté, dans les années 80, leur combat sur le développement et l’autonomisation des femmes. A partir des années 90, en rupture avec les luttes féministes, elles posent les problèmes plus généraux du monde. Aujourd’hui, plusieurs réalisatrices parmi celles qui vivent à l'étranger ne font plus de l’Afrique leur sujet, mais pratiquent un cinéma sans frontière. C’est le cas de l’Ivoirienne Isabelle Boni-Claverie dont aucun film n’a été tourné sur le continent africain. C’est aussi le cas de la Camerounaise Oswalde Lewat qui a fait un film sur les Amérindiens du  Canada et un autre sur une école de cinéma en Israël.

Nombreuses mais invisibles
Jean-Marie Barbe, responsable des formations du programme Africadoc, révèle qu’il y a autant de femmes que d’hommes à se lancer dans le documentaire en Afrique : « c’est une donne particulière dans le monde, peut-être parce que la fiction est envahie par les hommes et que le documentaire est ouvert et peut se faire avec des outils très légers ». Si les femmes sont nombreuses à se lancer dans la réalisation, elles restent peu visibles. Jacquie Buet, directrice du festival de films de femmes de Créteil en France, en a l’amère expérience : « il y a un manque d’ouverture des festivals aux femmes. Cette année par exemple, il n’y avait aucun film de femme à Cannes». Une pétition a d’ailleurs été lancée en mai pour protester contre l’absence de film de femme dans la compétition officielle pour la palme d’Or. Et depuis sa création en 1972, aucune femme n’a reçu l’Etalon de Yennenga, le Grand prix du Fespaco.

La faute, d’après Jacquie Buet, à la critique qui n’évolue pas et à la société globale qui renvoie une image dévalorisante aux femmes qui doutent alors et s’autocensurent. Beti Ellerson le confirme en soutenant que les femmes n’osent pas rêver. La conséquence étant qu’elles ne réussissent pas et se découragent. Brigitte Rollet abonde dans le même sens : « le fait qu’il y a beaucoup de réalisatrices n’empêche pas que le cinéma reste une activité pensée comme masculine. Les réalisatrices ont toujours été un peu marginalisé dans les ouvrages d’histoire du cinéma, qui n’intègrent pas que le cinéma africain est aussi fait par les femmes. Le cinéma est un art coûteux et les producteurs hésitent à confier des budgets élevés à une femme. C’est une situation que les réalisatrices africaines partagent avec de nombreuses réalisatrices occidentales ».

Un cinéma de femmes ?
Sur la question de l’existence ou non d’un cinéma de femmes, les débats ont été vifs au cours du colloque.  La Tunisienne Nadia El Fani le revendique : « il ne faut pas se voiler la face, ce n’est pas vrai qu’il n’y a aucune différence entre un film de femme et un film d’homme. Surtout dans le documentaire, les hommes que je filme ne se mettent pas en scène de la même manière que s’ils étaient filmés par un homme. Lorsqu’on est une femme cinéaste, la difficulté vient du fait qu’on vit dans une société patriarcale inégalitaire par rapport au genre. On ne peut pas l’occulter, on a besoin de se battre aujourd’hui encore pour le droit des femmes à travers le monde». La Nigérienne Rahmatou Keita admet une approche féminine qui peut venir d’une certaine proximité avec le sujet s’il est féminin.

La Sénégalaise Rama Thiaw, tout en niant un imaginaire féminin, est plus nuancée, même si elle reconnaît que « quand on est une femme, et encore plus une femme africaine, c’est très compliqué de faire un film par rapport à notre culture, au rôle qu’on a en tant que femme, à ce qu’on attend de nous. On doit se battre deux fois plus». Pour Oswalde Lewat, lorsqu’on fait des films et qu’on est une femme, le regard des autres n’est pas neutre, que ce soit pour nous aider à avancer ou au contraire, à reculer : « Il n’y a pas de cinéma de femmes, mais on considère que les hommes sont plus légitimes pour faire des films ».

Sarah Maldoror transcende ce débat pour dire que les problèmes des réalisatrices sont ceux du cinéma africain en général. Ils sont liés à la formation, au financement et à la distribution. « Il faut qu’on arrête de mendier pour financer nous-mêmes nos films. Quand il y a un film africain en salle, c’est à nous d’abord d’y aller, pour apprendre notre culture. Si on ne le fait pas, on a tort. » Pour Isabelle Boni-Claverie, un film avec un acteur et un réalisateur noirs doit pouvoir avoir accès à la grande distribution, avec une audience normale. Ainsi, il ne sera plus question de cinéma d’hommes ou de femmes.
Stéphanie Dongmo

1 commentaire:

  1. Merci Stéphanie pour cette analyse du Colloque.

    Puisque j'ai parlé d'un esprit non-déficitaire pendant mon discours de plénière, je veux mettre cette phrase "qu'elle n'osent pas rêver" dans le contexte que je l'ai cité :

    "Au-delà toutes les raisons qu'elles ne réussissent pas, qu'elles se découragent, qu'elles n'osent même pas rêver. Ce qui mʼa fascinée était les raisons qu'elles continuaient, qu'elles se passionnaient dans ce domaine, qu'elles ont dit oui."

    Beti Ellerson

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