mercredi 9 janvier 2013

Bernard Magnier : « La science-fiction est rare en Afrique »


Directeur de la collection Lettres africaines aux éditions Actes Sud, Bernard Magnier est aussi conseiller littéraire pour le Théâtre du Tarmac à Paris et depuis peu, auteur du Panorama des littératures francophones d’Afrique. Edité par l’Institut français, ce livret numérique gratuit a été présenté le 6 décembre à l’Alliance française Paris Ile-de-France, en présence de deux auteurs qui y figurent : Marguerite Abouet et Sami Tchak.
L’ouvrage est téléchargeable en Pdf à cette adresse : http://www.institutfrancais.com/panorama

Bernard Magnier. Crédit photo: Institut français
 A la demande de l’Institut français, vous venez de réaliser un panorama des littératures francophones d’Afrique disponible en ligne. De quoi s’agit-il ?
Ce « panorama » se veut un outil de découverte, une invitation à la lecture. C’est un travail destiné en priorité aux enseignants, bibliothécaires, documentalistes mais aussi à tous les lecteurs qui voudront bien s’intéresser à ces littératures, à tous les lecteurs curieux.

Ce panorama recense 150 auteurs et 250 ouvrages publiés entre 1930 et 2012. Quels ont été les critères de sélection ?
Evidemment, en premier lieu, la qualité de l’œuvre ; ensuite des critères qui relèvent de l’ambition « panoramique » du projet (représentativité géographique de l’ensemble du continent, mélange des générations, nécessité d’un choix plus rigoureux pour les écrivains ayant une œuvre très abondante), enfin des critères plus subjectifs qui m’ont fait préférer telle œuvre à telle autre, choisir ce roman plutôt qu’un autre dans une œuvre très abondante, avec la volonté de donner la vision « panoramique » la plus large possible. Le souhait que ce travail soit un outil pratique m’a également guidé vers des titres accessibles (le plus souvent en format - et à un prix- de poche) et vers le roman plus que vers les autres genres littéraires. De plus, contrairement aux usages trop bien établis, il s’agit ici d’un panorama couvrant l’ensemble du continent. Maghreb et Afrique sub-saharienne sont présents ensemble, de même que l’Egypte et la Libye, dans une même approche et cela donne lieu à des juxtapositions intéressantes et souvent inédites.

Vous avez choisi une approche thématique pour aborder ces littératures. Pourquoi ce choix éditorial ?
Le classement alphabétique est pratique mais sans signification. Le classement par pays sans intérêt voire pervers (la littérature n’est pas le lieu de la compétition). La seule approche chronologique a ses limites : un écrivain peut en 2011 situer son roman durant la période coloniale… Dès lors, où le classer ? J’ai donc préféré choisir le classement thématique en lui donnant néanmoins une progression chronologique. Une gageure et un joli puzzle à recomposer pour faire entrer 250 titres dans 7 thématiques et 25 sous-thématiques, mais il me semble que ce classement permet de donner des entrées différentes, des pistes de lecture, de suggérer des rapprochements inédits et significatifs et donc, offrir une meilleure découverte de ces littératures.

Quelles contraintes avez-vous rencontré pour réaliser ce travail ?
Les contraintes matérielles de l’outil et donc de la page informatique. Et, bien sûr, celles inhérentes à ce type de travail, à commencer par celle de faire un choix, de sélectionner, donc d’exclure…  De choisir et d’en assumer les limites, tout en revendiquant le droit à l’erreur. La littérature et sa critique sont des sciences inexactes !

Dans ce panorama, vous mettez en exergue des paroles d’écrivains qui parlent de la langue qui leur a été imposée. Comment les auteurs francophones d’Afrique s’approprient-ils la langue française?
A chacun son mode et sa façon et c’est ce que j’ai voulu suggérer en offrant des citations contrastées à propos de l’usage de la langue française. Certains y voient une contrainte, d’autres revendiquent une revanche ; d’autres encore considèrent la langue comme un outil, quelques-uns pensent qu’elle leur appartient. Tous entretiennent des liens passionnels, amoureux ou conflictuels avec la langue française.

Ce livret numérique est destiné à être diffusé en ligne. Est-ce un choix pratique quand on sait qu’internet n’est pas encore accessible pour tous dans les pays dont les littératures sont ici mis en exergue?
L’Institut français a souhaité que le « panorama » soit publié sous cette forme. Et c’est une bonne chose car cela permet une accessibilité immédiate et gratuite, partout dans le monde. Les réactions déjà enregistrées le prouvent. Mais il est vrai que l’accessibilité du continent africain demeure faible. C’est pour cela que, pour ma part, je souhaite qu’il existe prochainement une version papier.

Le roman, la nouvelle et la poésie constituent l’essentiel des titres de ce panorama. Mais on y voit aussi quelques titres des genres comme l’essai, la bande dessinée, le théâtre… Pourquoi cette ouverture ?
Parce qu’il me paraissait impensable de ne pas citer la bande dessinée Aya de Yopougon de Marguerite Abouet. Parce que les essais d’Esther Mujawayo (SurVivantes) et de Souâd Belhaddad (Entre deux « je ») sonnent l’un et l’autre juste et fort. Et parce qu’il était impossible de dresser un panorama sans tenir compte des voix dramaturgiques. Fatima Gallaire, Slimane Benaïssa, Dieudonné Niangouna en auraient été absents… 
Y a-t-il des genres qui, jusqu’ici, n’ont pas été exploré par les auteurs du continent ?
Oui, par exemple, la science fiction reste un domaine fort rare.

Vous parlez d’une littérature riche alors même que l’édition dans les pays évoqués peine à décoller. N’est-ce pas contradictoire ?
Oui sans doute, mais il demeure que ces littératures sont « riches », talentueuses et abondantes, même si l’édition africaine est rare. Le paradoxe est d’autant plus fort dans certains pays où les maisons d’édition sont quasi-inexistantes. Je pense à Brazzaville, par exemple, où les maisons d’édition sont absentes et où la littérature est d’une belle vitalité, de Tchicaya U Tam’si à Dieudonné Niangouna en passant par Sony Labou Tansi, Henri Lopes ou Emmanuel Dongala.

Depuis quelques années, le roman sentimental connaît du succès en Afrique, avec la collection Adoras des éditions NEI qui publient trois titres par trimestre. Est-ce que finalement, les lecteurs n’ont pas besoin du rêve qu’ils ne trouvent pas forcément dans d’autres types de littératures considérés comme plus sérieux ?
Le rêve serait-il incompatible avec le « sérieux » comme vous dites ? Pour ma part, je m’en suis tenu aux créations de fiction qui, selon moi, offrent un réel intérêt littéraire, une plus-value artistique qui fait leur force et leur intérêt.

Parmi les auteurs qui ont fait les beaux moments des littératures francophones d’Afrique, plusieurs ont occupé de hautes fonctions dans l’administration de leurs pays respectifs. Comment ce positionnement a-t-il déterminé leur écriture ?
Il y a souvent une incompatibilité entre exercice du pouvoir et création artistique. Ne serait-ce que du point de vue de la disponibilité matérielle, sans même penser aux incompatibilités intellectuelles. Les grandes œuvres de Senghor, de Césaire ou, par ailleurs, de Malraux ou de Vaclav Havel, ont été produites avant qu’ils n’exercent le pouvoir… Il en va de même pour les écrivains de l’Afrique et des autres générations. Souvent la littérature s’est effacée au profit du politique.

Suffit-il à un écrivain d’écrire pour faire entendre sa voix?
J’imagine que vous devinez ma réponse… Hélas non ! Mais parfois aussi heureusement !


A quoi ont servi ces littératures pour les pays francophones d’Afrique ?
À tout. À rien ! Comme dans n’importe quel autre lieu de la planète. Comme toute œuvre d’art : parfaitement inutile et totalement indispensable !

L’histoire de ces littératures épouse les tribulations du continent en même temps qu’elle raconte son histoire. La fiction n’est-elle pas finalement un leurre pour mieux parler de la réalité ?
Un « leurre » ou un … « mensonge vrai » ? Il est des romans qui disent plus et mieux que bien des essais, bien des articles de journaux… Mais il ne faut pas oublier aussi la notion de plaisir. La lecture est certes un enrichissement mais aussi un plaisir. Et ce n’est déjà pas si mal !

Quelle est aujourd’hui la réception de ces écrits ?
Elle s’améliore incontestablement hors du continent, en France en particulier où désormais ces littératures sont éditées, présentées, critiquées, lues comme les autres littératures. Il y a un phénomène de normalisation de l’accueil qui est en marche. Pour ce qui est de la réception sur le continent africain, les situations sont diverses mais il y a encore beaucoup à faire… Dans bien des pays, le lectorat ne s’est pas encore réellement constitué.

Qu’est-ce qui caractérise la nouvelle génération d’écrivains des années 2000 ?
Sans doute une plus grande liberté de ton, d’écriture, dans le choix  des thématiques. Une meilleure connaissance des littératures du monde. Ils ont davantage d’audaces. Ils sont dédouanés des contraintes des aînés. Ils ne sont plus obligés de parler au nom de… Au nom d’une race, d’un peuple, d’un continent, d’une collectivité. Le « je » est beaucoup plus présent. Ils sont aussi davantage ancrés dans une réalité urbaine.

Aujourd’hui, les écrivains d’origine africaine réclament d’être considérés comme des auteurs tout court et non plus selon une grille linguistique (le français) ou territoriale (l’Afrique). Avez-vous le sentiment qu’ils sont entendus ?
Oui, je crois que l’approche de ces littératures est en évolution. Mais il reste beaucoup à faire. L’approche par la langue et/ou le territoire est une commodité, un moyen de mieux cerner le sujet. Cela ne relève pas d’un processus de ghettoïsation mais d’une stratégie afin de braquer le projecteur sur un corpus déterminé, d’attirer l’attention, de faciliter la découverte.

Vous, Bernard Magnier, comment êtes-vous venu à vous intéresser aux littératures d’Afrique ?

J’ai eu la chance de croiser dans ma formation universitaire deux enseignantes à l’enthousiasme contagieux, Maryse Condé et Lilyan Kesteloot, qui m’ont permis de découvrir Césaire, Senghor, Mongo Béti, Cheikh Hamidou Kane, des littératures jeunes, neuves, novatrices. La découverte se poursuit encore aujourd’hui…


Propos recueillis par Stéphanie Dongmo 

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