samedi 16 février 2013

Opinion : le leadership et la gouvernance dans la culture


De la nécessité de créer des institutions fortes pour promouvoir les arts au Cameroun.
Essai par Landry Nguetsa, artiste et acteur culturel camerounais.

Landry Nguetsa
L’environnement culturel camerounais d’aujourd’hui offre un éventail de possibilités dues aux nombreuses potentialités qui la composent. Mais comme dans bien nombre de pays, les problèmes liés à la bonne gouvernance et au leadership n’offrent toujours pas la clarté souhaitée sur les défis et priorités qui doivent être faits pour améliorer le secteur. En observant le mécanisme de traitement de ces mêmes problèmes dans d’autres pays, j’ai le sentiment que, chez nous, ces difficultés ont des racines beaucoup plus profondes.

Faire de l’art au Cameroun ou se jeter dans la culture relève d’un courage de lion. Car le milieu est jalonné par des épines qui ne facilitent pas toujours les conditions de vie de l’artiste qui rêve d’une carrière. On dénote donc un nombre important de difficultés liées à la gestion des ressources humaines, domaine dans lequel on ne retrouve pas forcément les personnes qu’il faut à la place qu’il faut. En outre, le phénomène de crise économique et de chômage contraint certaines personnes à expérimenter leur avidité au grand dam du serment qu’ils auraient prêté. Ainsi se pose fatalement le problème de gouvernance.

Le second problème est le mauvais diagnostic des difficultés dans notre milieu culturel. L’on évite de percer l’abcès en allant appuyer sur une autre bosse pour justifier les efforts qu’on fait et surtout le poste dont on a la charge. Conséquence : l’on retrouve au finish des artistes qui ne cessent de trimer et de galérer, ne donnant aucune envie à quiconque voudrait faire le métier.

Ajouter une légende
Le troisième problème ou défis à relever est le manque d’infrastructures : le médecin sorti de l’école de formation sait qu’il pourra exercer parce qu’il existe quand même plusieurs hôpitaux et dispensaires dans le pays. L’enseignant a pareillement des écoles dans lesquelles il pourra travailler. Et l’artiste alors ? Il n’existe pas à ce jour une seule salle de spectacle créée par le gouvernement camerounais dans le pays. Et les centres culturels étrangers peuvent proposer aux artistes le salaire qu’ils veulent parce que ces derniers n’ont pas le choix. Les centres locaux privés sont également confrontés au problème de subventions et par conséquent, ne gèrent pas les artistes comme ils le devraient.

En dernier lieu, on a bien évidemment l’éternel problème de détournement de fonds et de corruption. Comme je l’ai mentionné plus haut, certains leaders culturels sont pétrifiés et paniqués à l’idée de savoir qu’ils n’auraient peut être pas les mêmes avantages le jour suivant et jouent les gloutons. Les syndicats de défense des droits d’artistes sont inexistants et cela pourrait s’expliquer par le fait que, jusqu’à ce jour, aucune politique culturelle n’a soumis un texte définissant le statut de l’artiste au « Pays des Crevettes ».
En gros, les véritables problèmes liés au secteur culturel au Cameroun sont dus tout simplement à l’avidité, à l’ignorance et à la stupidité. Le véritable leader sera donc celui capable d’aider les acteurs du secteur à s’organiser en groupe plutôt que d’évoluer en individualité. La gestion des fonds destinés à la culture devrait se faire d’une institution à une autre et non d’une institution à un individu et avec un nombre impressionnant d’intermédiaires : ceci pourra limiter les détournements et le vol.

On a besoin au Cameroun des leaders capables de concevoir une image mentale d’un avenir culturel possible et désirable. Cette image, que j’appelle une vision, peut être aussi floue qu’un rêve ou aussi précise qu’un but ou un projet d’entreprise, j’en suis conscient. Le point clé c’est que cette vision exprime la perspective attrayante d’un avenir culturel réaliste et crédible. Concrètement, on pourrait par exemple commencer par réaménager et ré-contextualiser les Etats Généraux de la Culture, résultats de réflexions avec d’éminentes personnalités du secteur culturel qui s’est tenue du 23 au 26 août 1991 au Palais des Congrès de Yaoundé.
Je ne trouve pas du tout inutile l’initiative de faire payer aux associations culturelles des taxes, mais qu’on verse par la suite des subventions à celles d’entre elles qui rempliraient les critères d’éligibilité préétablies. Mettre également sur pied un organisme de contrôle de la gestion des ces fonds en vue de limiter les détournements et la corruption.

Pour les arts de la scène
Voilà un domaine dans lequel le plus gros du travail reste à faire. Je reconnais quand même humblement que beaucoup de travail a été fait jusqu’à la fin des années quatre vingt dix. Mais comment expliquer la dégradation flagrante de ce domaine qui frise le ridicule ces dix dernières années ? L’on pourra toujours lui attribuer la crise économique comme cause ; je veux bien. Mais comment font les pays d’Afrique de l’Ouest moins riches que nous qui ont presque fait des Arts de la scène, un véritable creuset de richesses ?
L’on critiquera aussi certainement la qualité des productions. C’est tout à fait vrai ! Pour créer une belle pièce, il faut se retrouver dans des conditions de travail minimales, sans lesquelles toute création est voué à de l’amateurisme et aux difficultés liés à sa vente.

Voici également un domaine dans lequel on célèbre régulièrement les anniversaires de carrières de personnes illustres qui ont marqué leur passage sur la scène d’une pierre blanche. Un chef d’état très apprécié avait dit lors de son discours d’investiture que l’Afrique n’a plus besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes. Il serait souhaitable qu’en plus de la célébration des hommes forts de la scène, qu’on pense au lendemain de la fête, à créer des institutions fortes.

Pour les arts plastiques
Il s’agit ici d’un domaine qui est souvent tacheté d’hypocrisie comme les marques que font des traits de pinceaux sur une toile vierge. C’est un secteur où les principaux consommateurs des œuvres sont des Occidentaux. On crée ici pour l’Occident. Serait-ce parce que les Camerounais ne connaissent pas la valeur d’une œuvre d’art ou bien ils la trouvent tout simplement chère ? De toute façon, une question demeure : comment fait donc l’artiste pour vivre ?  Ici encore, je crois en la nécessité d’institutions fortes pour réguler le secteur et pour mettre sur pied une politique d’éducation à l’Art.

Si on a pu inculquer aux Camerounais qu’ils ne valent pas grand chose s’ils ne travaillent dans l’administration, il est également possible de formater ce système qui a planté comme le ferait un ordinateur, de lui insérer un nouveau disque dur qui allumera votre machine si vous tapez le bon mot de passe : l’Art.

Pour les arts visuels
Sur vingt millions de Camerounais, je défie un seul million de me dire en quoi est ce qu’il consiste. Que ce soient la vidéo d’art ou les animations graphiques, les Camerounais n’auraient pas encore trouvé le plaisir que cela peut leur procurer, ce serait donc grossier de notre part de leur demander déjà de payer pour regarder.

Permettez-moi une fois encore de le dire avec emphase : l’art ne permet pas seulement à l’homme de baigner dans le vaste océan des émotions. C’est le moyen pour nous, que dis-je, la chance que nous avons de nous découvrir pour affronter les dures réalités de la vie comme nous en sommes le plus souvent sujets. C’est tout ce qui évitera à Socrate de se retourner dans sa tombe lorsqu’il saura que nos contemporains ne récitent pas seulement le « connais-toi toi-même » mais qu’ils l’appliquent également.

Que Descartes n’ait pas l’impression d’avoir énoncé inutilement son « je pense, donc je suis », mais qu’il ajuste sa couverture dans son cercueil en ressentant que nos contemporains vivent mieux, comprennent mieux le sens de la vie parce qu’ils savent désormais bien écouter, bien regarder et bien sentir. Bref, tout ce qui permet à l’homme de se découvrir.

Le gros de mon travail réside dans l’urgence de susciter la création de fortes institutions culturelles et artistiques pour combler le déficit. Les institutions dont je parle peuvent se regrouper en trois grandes composantes :
Institutions dans le domaine éducatif pour favoriser une meilleure connaissance et de l’utilité de la culture et de l’art.
Institutions dans la gestion des fonds destinés à accompagner les artistes dans leurs projets.
Institutions dans l’organisation des événements culturelles.
Voilà, à mon sens, les défis, les priorités et les possibilités de leadership et de bonne gouvernance dans le secteur culturel camerounais.
Landry Nguetsa, comédien-metteur en scène 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire