vendredi 20 septembre 2013

Livre : l’identité en miette

Dans son roman « Le rêve de Latricia » (Panafrika/Silex/Nouvelles du Sud, 2011), le Sénégalais Ben Diogaye Bèye raconte la longue quête identitaire d’une Afro-Américaine écartelée entre deux civilisations. Une écriture magnifique desservie par une édition négligente.

Ben Diogaye Bèye

Depuis qu’elle est toute petite, Latricia, une jeune Africaine Américaine, fait un rêve étrange : une vielle femme africaine lui demande de l’eau, dans une langue qu’elle ne comprend pas. Puis, se mettant en colère, elle renverse le gobelet d’eau». Ce rêve que Latricia transpose volontiers sur ses peintures va évoluer au fur et à mesure de sa rencontre avec l’Afrique, dont le déclencheur sera Mayekoor, un Sénégalais installé à New York qui va devenir son amant. 

« Le rêve de Latricia » part du postulat selon lequel ni le temps, ni la distance, ne peuvent séparer un être de ses racines. Latricia a pourtant tout fait pour oublier sa peau noire, comme en témoignent ses cheveux souples et ses yeux bleus. Mais peut-on se fuir soi-même ? Ses cauchemars et son destin l’amènent, presque de force, à faire face à l’essence de son être, cette part africaine d’elle-même qu’elle traîne comme un boulet et qu’elle finira par aimer.

L’auteur revisite l’écartèlement de ces peuples déracinés, traversés par plusieurs cultures, confrontés à l’esclavage et à la ségrégation ; la blessure restée ouverte au fond des cœurs déchirés qui produit des êtres hybrides, fragilisés. Edouard Glissant l’a appelé « créolisation », Léonora Miano l’appelle « habiter la frontière ». Ce mélange d’identité, cette hybridité culturelle qui peut provoquer une perte de repères, comme c’est le cas chez Latricia. Sa quête identitaire va la conduire au Sénégal où elle va renouer avec ses ancêtres un fil que les ans et la distance n’ont pas pu rompre. Le « Ndeup », une cérémonie d’exorcisme pratiqué au Sénégal, réussira à réconcilier cette descendante d’esclaves à l’Afrique mère.

Ben Diogaye est né à Dakar en 1947. « Le rêve de Latricia » est son premier livre de ce cinéaste. Un livre qui vaut la peine d’avoir été attendu si longtemps. Sa quatrième de couverture décrit bien son style : « la prose est élégante, parfois même somptueuse et le propos est profond qui culmine en une méditation angoissée sur la condition humaine articulée autour de la problématique de l’identité culturelle ». Mais cela n’a pas suffi pour faire de ce roman un succès littéraire.

Le succès d’un livre naît souvent de la rencontre entre un beau texte et un bon éditeur. La seconde condition a manqué. Le livre est passé inaperçu sur la scène littéraire continentale,  la personnalité de son auteur ayant aidé à le vendre au Sénégal. Il faut enjamber une quatrième de couverture touffue, résister à l’invasion des virgules, fermer les yeux sur les coquilles (trop nombreuses pour être acceptables) pour découvrir la force du texte de Ben Diogaye Bèye. Un texte magnifique, à lire malgré tout.
Stéphanie Dongmo 

Ben Diogaye Bèye
Le rêve de Latricia
Ed. Panafrika/Silex/Nouvelles du Sud
Paris, 2011, 206 pages
18 euros  

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