lundi 7 octobre 2013

Nadine Otsobogo : « Le cinéma peut être proche du public »

Réalisatrice et chef maquilleuse, elle a créé le Festival du film de Masuku dont elle est la déléguée générale, à Franceville au Gabon. La première édition s’est déroulée du 15 au 17 août sous le thème « Nature et environnement » et le parrainage de Ali El Haïda, ministre sénégalais de l’Environnement. Nadine Otsobogo fait le bilan de l’édition passé et parle des enjeux et de l’avenir de ce festival.

Nadine Otsobogo
Qu’est-ce qui vous a motivé à créer un festival de cinéma?
J’ai toujours voulu partager le cinéma. J’en ai eu l’idée dès que j’ai tourné le film « Dialemi » en juin 2012. Il y a eu quatre jours de tournage et le cinquième jour, on s’amusait. L’équipe était tellement contente, et moi aussi, de donner, de partager que je me suis dit que ce serait bien un évènement où on peut se retrouver et s’éclater par rapport au cinéma. En janvier 2013, l’idée est revenue. J’ai appelée Lise Bessacque et Estelle Akoumigui qui sont des amies d’enfance, elles m’ont dit ok. Lise est organisatrice d’évènements et Estelle travaille dans le tourisme. On a commencé à élaborer le projet pour déjà créer l’association Festival Masuku. L’impulsion a aussi été le prix au Fespaco [Dialemi a reçu le poulain de bronze en mars 2013], ça a confirmé que je devais absolument faire quelque chose au Gabon. Lorsqu’on a eu le récépissé de l’association en juin, on a commencé à relancer les sponsors. Ensuite, on a associé Yvan Ayo Barry au festival. Yvan est forestier et un grand cinéphile. J’avais besoin d’un regard expert sur l’environnement. Je voulais cette thématique-là [nature et environnement], une thématique forte qui était dans mes films à moi et dans ce qui représente aussi mon pays, le Gabon vu d’en haut. Ensuite, il y a eu Loriane Nabibiga qui s’occupe des bénévoles et du secrétariat.

Pourquoi ne pas avoir cherché les membres de votre équipe dans le milieu du cinéma ?
Tous les cinéastes du Gabon ont déjà essayé de monter des choses. Ils ne m’ont pas associés à ces choses-là, et ces choses-là n’ont pas marché. Et puis, les cinéastes pour moi ne sont pas disponibles. J’avais envie de travailler avec des cinéphiles, d’être avec des personnes d’abord qui me sont proches et qui peuvent parler du cinéma par rapport à leur ressenti, avec un regard neuf. Il vaut mieux être avec des personnes qu’on connaît, avec lesquelles on a les mêmes objectifs. Pour l’association, je voulais un maillon fort, une équipe qui soit dans l’organisation, dans le tourisme et dans l’accueil. Le cinéaste n’a pas ces options-là.

Loriane Nabibiga pose devant l'affiche du festival. 
Quelle a été la plus-value de ce regard neuf dans l’organisation?
La plupart des membres de l’équipe connaissait la région. Moi, je l’avais déjà visité pendant le tournage du « Collier du Makoko ».

Pour cette 1ère édition, il n’y a pas eu d’appel à films. Comment avez-vous réglé la question des films qui est essentielle?
Ce qui était très important par rapport aux films c’était de travailler avec le Cinéma numérique ambulant (CNA) pour cette 1ère édition. Il n’y avait pas à chercher des films dans le monde entier, ils avaient un catalogue où on a choisi des films sur la nature et l’environnement…

En priorité des films gabonais. N’est-ce pas du nombrilisme ?
 On s’est dit qu’on va d’abord montrer aux Gabonais ce qui a été fait au Gabon, les intéresser et leur dire qu’il y a un cinéma qui existe ici. Ils n’ont pas vu « Gozambolowi », « Dialemi » et « Le silence de la forêt » qui est aussi gabonais. Il fallait leur dire que nous avons un cinéma. Et puis, la région de Franceville a une histoire avec le cinéma. Il y a un classique du cinéma gabonais, « Obali », réalisé par Charles Mensah et Pierre-Marie Dong mais produit par Patience Dabany qui s’appelait Joséphine Bongo à l’époque, qui a été tourné ici dans la province du Haut-Ogooué. Tous les Gabonais connaissent les dialogues de ce film. Sans faire du nombrilisme, apprécions d’abord ce que nous avons dans notre pays et puis nous irons vers les autres.

Mais pourquoi le Cinéma numérique ambulant ?
D’abord parce que c’est la seule structure qui existe en Afrique centrale, à mon avis. Pour cette édition, il fallait absolument que je m’entoure de personnes qui étaient structurés. Ce n’était pas possible que je prenne un écran pour aller me balader en ville, ou que je construise d’abord une salle de cinéma. On peut montrer aux gens que le cinéma se projette dans les salles mais est aussi proche du public. Et cette structure-là me plaisait, me parlait et m’interpellait. Le but aussi c’est du mutualiser les efforts et le Cinéma numérique ambulant avait un catalogue avec des droits, ils étaient tous des experts  surtout que dans notre équipe, il n’y avait pas de cinéaste. On voulait quelque chose de proche. Ce que nous défendons c’est la culture pour tous et le Cinéma numérique ambulant était déjà dans cette ligne-là.

Une projection en plein air du CNA
Est-ce la raison pour laquelle le seul prix de ce festival a été le prix du public, décerné du reste au « Collier du makoko » de Henri Joseph Koumba Bididi ?
On avait en vue de se demander qu’est-ce que le public aime. Et s’il aime, est-ce qu’il a envie de donner un prix ? On va essayer de demander au chauffeur, à la vendeuse quels films ils ont aimé sans que nous intervenions dans leur choix.

Le public a été très timide, à peine 50 personnes à chaque projection. L’organisation de ce festival n’a-t-il pas été un peu précipité ?
Le mot n’est pas précipité. A un moment, on se demande : on attend quoi, le feu vert doit venir de qui ? Nous, on s’est dit : c’est maintenant, on va lancer le festival et après, on va faire un bilan et en tirer les conséquences. Et puis, le public africain, gabonais ou d’ailleurs, est toujours timide au départ. Ce qu’on amène c’est nouveau. On savait qu’on n’allait pas avoir 600 personnes mais on a voulu faire une édition test, savoir si ça intéresse les gens de voir des films en plein air. Les gens venaient timidement et posaient des questions. Et c’était notre but : amener les gens à se poser les questions sur la culture et le cinéma, sur la nature et la biodiversité. Et puis, l’accueil du maire de Franceville nous a rassurés.

Mais pourquoi Franceville précisément ?
Franceville fait partie des trois grandes villes du Gabon. Pour moi, Libreville est saturé, tout se passe là-bas. Et du coup, les Librevillois ont tendance à croire que c’est le nombril du Gabon et que les autres sont des villageois. A Franceville, il y a un aéroport international et pendant la Coupe d’Afrique des Nations, on a pu construire des hôtels. Donc, la ville a une capacité d’accueil qui m’interpellait. Et puis, Franceville aussi parce que il y a un parc national, pas mal de sites qui rentraient dans le cahier de charges du festival. Et le challenge c’était d’amener les Gabonais à sortir de Libreville pour visiter leur pays. Par rapport à notre thématique, on voulait commencer le festival par Franceville par rapport à « Obali ». Maintenant, les autres années, peut-être qu’on ira vers d’autres villes, Port-Gentil ou autre.

Est-ce que vous envisagez que le festival soit itinérant ?
On l’a envisagé, peut-être à partir de la 5ème édition. Il faut déjà donner un rdv aux gens à Franceville. Et dès qu’ils s’habituent à ça, on pourra aller à Oyem ou à Makokou. On veut créer une symbiose, amener les gouvernants à comprendre qu’il y a encore un public pour le cinéma, à envisager de réhabiliter la salle de cinéma qui a été fermée. Il y a aussi cet acte politique de se dire que si le cinéma peut être vu à l’extérieur, à la belle étoile, c’est quand même pas mal quand c’est dans une salle. On dit trop facilement que les Africains n’aiment pas leurs films. Mais si les films africains ne viennent pas à eux, ils vont continuer à acheter les Dvd de films d’ailleurs parce qu’ils demandent ça.

Justement, plusieurs spectateurs ont demandé à avoir des Dvd des films diffusés. Comment est-ce qu’un festival comme celui-ci, qui créé le besoin chez le public, peut-il contribuer à ce que les gens aient accès aux films africains même après le festival?
Il est prévu que pour les éditions prochaines, on fasse des ventes de Dvd et donc, un marché du cinéma. Le but c’est de faire un festival avec un petit marché à côté pour vendre des Dvd de films qu’on aura projeté, et aussi un petit coin rencontre avec les producteurs, les réalisateurs et les distributeurs. Il y a une demande de gens qui veulent acheter les films pour les regarder chez eux avec leurs familles. Mais il fallait d’abord savoir si ça les intéressent. Cette édition a permis de se dire que ça peut se faire. Puisqu’il y a une demande, il faudra créer le marché, en synergie avec les producteurs et les distributeurs. Il faut aussi avoir dans l’équipe quelqu’un qui est dans le commerce et qui pourra gérer cela.

Qu’est-ce que ce festival apporte de plus dans le paysage cinématographique gabonais ?
Il n’y a qu’un seul festival de cinéma au Gabon, ce sont les Escales documentaires à Libreville. Dans un pays, on ne peut pas se dire des cinéastes et n’avoir que du documentaire à proposer. On veut aussi proposer de la fiction, du rêve, un regard neuf sur les acteurs qui travaillent. Ce que le documentaire ne fait pas puisqu’il nous raconte une histoire avec des archives. Pour le moment, le festival du film de Masuku c’est le seul festival au Gabon où il y a de la fiction, du documentaire et du dessin animé.

Quelles ont été les limites de cette édition ?
Au-delà de l’argent, le nerf de la guerre, on aurait voulu faire au moins trois projections par jour. Et pour cette édition, on a projeté deux films par jour, un court et un long métrage. Cela  m’a beaucoup attristé, je voulais vraiment que les gens puissent avoir le choix. C’était un seul rdv, un seul lieu alors qu’au début, on avait prévu trois lieux.

A quand la prochaine édition ?
On avait pensé à organiser ce festival tous les deux ans mais on nous a dit qu’il fallait que ce soit annuel pour fidéliser le public. On réfléchit à ça en sachant que moi, je suis cinéaste et j’ai envie de continuer à travailler, à faire des films ou des maquillages et qu’il faudra passer le relais  On se fait un bilan entre septembre et décembre et on  le saura.

Organiser un festival annuel peut être très prenant. Ne craignez-vous pas que cela vous éloigne d’une carrière de cinéaste ?
Non parce que pour moi, tout est lié. De faire du maquillage, du cinéma et d’organiser un festival aujourd’hui, tout est lié. Je veux que mon film soit vu à un festival et s’il n’y en a pas, je fais quoi ? J’ai envie d’une vitrine pour montrer les films que je fais et que d’autres ont fait. Il n’y a pas de vitrine. On peut attendre que les politiques fassent ça. Mais on peut aussi commencer à le faire. Je plante la graine. Après, les autres vont l’arroser et cueillir les fruits. Si je ne le fais pas, qui le fera ? On a l’impression à chaque fois que je fais beaucoup de choses, mais j’ai juste envie qu’on dise : elle fait des choses. Je suis déléguée générale du festival. Mon ambition à moi était d’impulser. Après, quelqu’un d’autre pourra diriger ça et je resterai la personne qui vient montrer ses films.

Projection pour enfants
Pour la prochaine édition, qu’est-ce que vous allez maintenir et qu’est-ce qui va changer ?
On va avoir plus de salles, des accords fermes avec des salles. On aura un lieu unique, on fera  en sorte que les entreprises de la ville s’impliquent en mettant à la disposition du festival des bus qui vont permettre de transporter les gens car Franceville est une ville éclatée. Deuxièmement, on va matraquer la communication. Il y aura un appel à films, des réalisateurs qui viendront parler de leurs films, des techniciens qui parleront de leur métier. Pour cette édition on a eu Henri Joseph Koumba Bididi. Mais à la prochaine édition, il faudra faire venir des formateurs, des producteurs, ce sont des choses qu’on voudrait améliorer.

Propos recueillis par Stéphanie Dongmo à Franceville 

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