dimanche 5 janvier 2014

Théâtre : Pour la paix au Mali

La pièce « Guerre » de Lars Norén a été présentée le 19 décembre à l’Institut français de Bamako, sur une mise en scène d’Eva Doumbia et une interprétation des élèves du Conservatoire.    


La pièce s’ouvre sur une tranche de vie ordinaire d’une famille. La mère range le désordre laissé par sa plus jeune fille. Une autre fille, plus grande, est occupée à se maquiller. Quand arrive le père après deux ans d’absence sans nouvelle, tout s’écroule. Devenu un étranger, il s’attend pourtant à reprendre la vie de famille là où il l’a laissé en partant pour la guerre. Mais les choses ont bien changé en son absence. La guerre est finie mais ses séquelles, elles, sont bien restées.

Les cinq personnages de cette pièce, survivants de la guerre, portent tous des handicaps profonds : le père, vaincu et aveugle, traîne ses réflexes de survie; la mère, qui peine à faire assoir son autorité auprès de ses filles, a refait sa vie avec le frère de son mari ; lequel beau-frère a été obligé de battre son fils jusqu’à ce que mort s’en suive ; la grande sœur, encore adolescente, est prostituée et droguée ; la plus jeune sœur a un bras paralysé et, malgré ses 13 ans et sa virginité perdue, refuse de grandir et s’applique avec acharnement à être heureuse, pour ne pas perdre pied.  

La pièce met en scène les changements radicaux que la guerre apporte sur les hommes et les sentiments : les viols, l’horreur, les crimes, les gentils voisins qui se transforment en prédateurs, les trahisons, mais aussi, malgré tout, l’amour qui naît là où on l’attendait le moins. La seule échappatoire semble être la fuite vers d’autres cieux. Un projet qui se heurte au « Non » farouche de la petite fille. Tous doivent rester pour reconstruire la vie en lambeaux. Mais est-ce seulement possible ? La scénographie d’Eva Doumbia a installée partout sur la scène des lampes allumées, comme le fil tenu de la vie malgré les atrocités de la guerre.

La grande innovation de cette pièce a été de faire jouer plusieurs comédiens pour un seul rôle. Ainsi, trois comédiennes jouent le rôle de la mère, deux comédiens les rôles de la petite sœur, de la grande sœur et du père de famille. Cette variation les oblige à faire des efforts pour se dépasser mais, d’un autre côté, ressort de façon flagrante les disparités dans leurs jeux, les comédiens n’ayant pas la même présence sur scène, ni la même façon d’habiter leur rôle. Le risque étant de faire tomber l’attention du spectateur devant un comédien moins bon, comme cela a été le cas pour les rôles de la mère et du père.

Comme souvent chez Eva Doumbia, la musique de la pièce était jouée directement par un orchestre composé des élèves du Conservatoire de Bamako, présents sur la scène. Cette musique de scène en live a accompagné la pièce, donné du rythme aux dialogues et aux silences et porté les émotions des spectateurs.

« Guerre », écrite par le dramaturge suédois Lars Norén, résonne à Bamako au Mali avec justesse et authenticité, dans un contexte post conflit où l’heure est à la reconstruction du pays et la paix relativement fragile. Elle est le résultat de six ateliers de 15 jours que la metteuse en scène franco-ivoirienne a mené avec des élèves du Conservatoire de Bamako pendant deux ans, avec le soutien de l’Institut français du Mali. Aissata Boucary Maiga, une des comédiennes de la pièce, dit sa satisfaction : « J’ai amélioré mes connaissances du théâtre et mon talent, je suis super contente d’avoir travaillé sur cette pièce, cela m’a permis de beaucoup progresser». Eva Doumbia lance un appel aux directeurs de festivals pour que cette pièce puisse circuler. Mais avec 9 comédiens et 5 musiciens, cela sera-t-il évident pour les festivals africains aux moyens plus que limités ?

Stéphanie Dongmo, à Bamako 

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