dimanche 24 août 2014

Jean-Marie Teno : « Le cinéma occupe toute ma vie »

Le cinéaste, lauréat de l’Ecran du documentaire 2014 pour son film « Une feuille dans le vent », était l’invité d’une rencontre professionnelle organisée par la Cameroon art critics, l’Association de journalistes culturels du Cameroun le 26 juillet dernier à Yaoundé, en marge de la 18ème édition du Festival Ecrans noirs. Il parle de sa filmographie, de sa vision du cinéma et de ses projets. Libres propos.

Au commencement…
J’ai voulu être journaliste, je couvrais le cinéma pour le journal Bwana qui n’a fait que trois éditions. J’ai été à Ouagadougou en 83 et avant d’y aller, je crois que j’avais vu tous les films faits par les Africains à l’époque, à la Cinémathèque française. A Ouaga, une des rencontres déterminantes a été mon interview avec Souleymane Cissé. J’avais vu son film Baara qui, pour moi, est le plus grand film de l’histoire du cinéma en Afrique et à l’époque au Fespaco, il montrait son film Finye. A la fin de l’interview, il m’a dit : « jeune homme, pourquoi tu veux être journaliste ? On a beaucoup de journalistes et peu de cinéastes, il vaut mieux que tu te mettes au cinéma parce que dans mon film, il y a des choses que tu perçois qui font que tu ne peux être que cinéaste ». Et c’est cet encouragement qui m’a permis de partir et de faire mon tout premier film, le court-métrage Subbah, qui est le compte rendu de notre initiative à paris en 82-83 au moment où la Gauche est arrivée au pouvoir. On essayait d’exister en tant qu’Africain à travers ce journal.
Hommage
 
Le tout premier film que j’ai fait s’intitule Hommage. Pendant que j’étais étudiant en France en 1979, il s’est passé un évènement qui a déterminé ma vie, c’est le décès accidentel de mon père. Etant le fils aîné et avec une bouse pas très conséquente, je ne suis pas venu aux funérailles et c’est en 1984, alors que j’avais fini les études et commencé à travailler, que je suis revenu au Cameroun et on a pu organiser les funérailles. A l’époque, j’avais déjà une caméra parce que, quelque part au fond de ma tête, j’avais envie de parler de cette vie qu’on menait, d’être témoin. Dans les années 70, la censure était tellement forte sur l’écrit, les journalistes souffraient. Et je me disais qu’avec l’image, on ne peut pas m’accuser d’inventer ce que tout le monde peut voir, je voulais contourner la censure.
Le film Hommage était cette conversation que nous avions avec mon père, lui qui était parti du village pour venir en ville, qui avait une sorte de mépris pour ce village parce qu’à cette époque, beaucoup de gens pensaient devenir modernes en ville. J’ai engagé ce dialogue entre les générations, la modernité, la tradition, les choses positives qu’on trouvait au village par rapport à la ville. C’était ma première expérience filmique et c’était la première fois qu’on voyait un film qui se passait comme une conversation entre deux personnes. J’avais écrit un texte et je l’ai transformé en dialogue dit par deux personnes. Et pendant 13mn, il y a cet échange et des images de Yaoundé. Le film qui mélange la fiction et le documentaire ne suivait aucune forme connue. Hommage est une forme de synthèse entre les choses qui me tiraillent, c’est toute la fragmentation de l’être que nous sommes, vivant ailleurs en rêvant toujours d’un autre ailleurs.
 
Bikutsi Water Blues
J’ai grandi à Yaoundé, mes premières lectures étaient ici au CCF [Centre culturel français rebaptisé Institut français, Ndlr], j’habitais à Mvog-Ada, derrière Escalier bar et j’allais au lycée Leclerc. C’était au milieu des années 60. J’étais une des rares personnes de ce quartier à aller au lycée où je me rendais à pied, quatre fois par jour. A cette époque, il y avait des bornes fontaines où on se retrouvait le soir. Il y avait aussi de grands slogans, par exemple : « L’eau potable pour tous en l’an 2000 ».
 
A Bafoussam où vivait ma mère, j’ai discuté avec un jeune infirmier travaillant dans le dispensaire du quartier qui m’a dit que près de deux malades sur trois souffrent de maladies liées à l’eau. Il y avait un cercle vicieux de la misère qui se créait et je voulais poser le problème pour que les gens l’entendent avec du plaisir. J’ai contacté Zanzibar pour être un protagoniste du film.
 
Afrique, je te plumerai
Après Bikutsi water blues, la question qui m’est venu c’est de savoir quelle est la culture des gens qui nous gouvernent. Et c’est là que je me suis plongée dans l’histoire coloniale pour comprendre la mentalité. A partir de là, j’ai fait Afrique, je te plumerai pour questionner ce qui était dit dans les livres et comment nos écrivains avaient rendu compte de notre vie au quotidien pendant tout le siècle précédent. Toujours en mettant en relation la recherche du savoir, l’éducation, l’environnement. Rien n’est complètement disjoint et je voulais que les problèmes soient toujours posés de la manière la plus complète possible, mais en gardant un côté ludique. 
J’avais de mauvais rapports avec la télé qui a refusé de diffuser le film sous le prétexte que c’était le "quartier". On exclut toute une frange de la population et après, on se demande pourquoi vous vous exilez. Mais comment est-ce que j’aurais pu vivre dans ce pays si de toutes les façons je ne pouvais pas faire le travail que je voulais ? Quand je préparais ce film en 90, je suis allé aux archives de l’armée française. A l’époque, ils n’avaient pas encore fixé de prix, ils m’ont donné beaucoup d’images pour 1000 francs français. C’était un long travail de trouver des archives, ça a pris trois ans pour finir ce film.
 Afrique, je te plumerai est le film qui a vraiment lancé ma carrière. J’étais banni pour certains mais aussi apprécié pour d’autres et, pour la première fois, l’histoire coloniale était racontée du point de vue d’un Africain et du coup, dans beaucoup d’universités, le film a commencé à être enseigné dans le cadre des études africaines.
 
Fièvre jeune taximan
Le taximan était Essindi Mindja, on a tourné un peu partout dans la ville et il n’avait pas le permis de conduire, on a risqué notre vie plusieurs fois, c’était en 1985.
 
La tête dans les nuages
J’ai eu l’opportunité de travailler sur le secteur informel avec La tête dans les nuages, c’est comment les gens arrivent à trouver des solutions pour survivre.
 
Clando
Mon premier film fiction c’est Clando. Après les villes mortes, il y a avait une violence qui s’exerçait sur les gens et certains pensaient que ça ne pouvait jamais les atteindre. Ça me permettait de poser la question de pourquoi attendre, les choses ne changent jamais d’elles-mêmes.
 
Chef !
En 99, j’ai fait Chef ! Je faisais les repérages pour le film Vacances au pays, j’étais à Bandjoun et pendant que je faisais des plans, je tombe sur un garçon qui a volé une poule et quatre poussins. Je filme le déchainement de violence sur le gosse. J’ai protégé cet enfant et on l’a amené au commissariat. Ça m’a amené à réfléchir sur la violence que les gens sont prêts à exercer sur les plus faibles et non sur les gens qui sont responsables de leurs frustrations, ça m’a fait penser au discours de la servitude volontaire de la Boétie où on est dans une sorte d’équilibre de la terreur.
Vacances au pays
Après, j’ai fait Vacances au pays en questionnant la modernité. On pensait que tout ce qui venait de la ville était moderne, et tout ce qui venait d’Europe était plus moderne encore. Mais la modernité au fait, c’est quoi ?
 
Le Mariage d'Alex
Et pendant que je faisais ce film, un de mes protagonistes insistait pour que je filme son mariage. Sur le chemin, j’apprends qu’il va chercher sa deuxième femme et selon la tradition, la première femme est dans la famille de celle qu’on va chercher. Je vois cette violence, ce drame qui se noue et moi qui était venu filmer une scène de joie filme un drame, ces non-dits dont personne ne parle. Après, je me rends compte qu’il y a des choses intéressantes. Je pose la question du cynisme, de cette hypocrisie qui laisse penser qu’on est tout à fait heureuse le jour où son mari prend une seconde femme. C’était en 2002.
Le Malentendu colonial
En 2004, l’Allemagne commémore le centenaire du génocide des Héréros. A l’époque, j’avais le projet de travailler sur les sociétés de mission et c’est ainsi que  je construis Le Malentendu colonial. La mission a souvent précédé l’entreprise coloniale. En faisant les recherches, je tombe sur l’histoire d’Alfred Saker qu’on présentait comme le premier missionnaire alors qu’en fait, avant lui qui était arrivé comme mécanicien, il y avait eu des Jamaïcains. Et c’est quand Joseph Merrick, qui était pour une évangélisation dans le respect des gens est mort, qu’il a pris sa place. On nous a enfermé dans tellement d’éléments qu’il y a un travail énorme pour déconstruire, pour que les gens se libèrent d’un certains nombres de choses qu’ils ont appris. Le Cameroun m’a soutenu à hauteur de 7 millions de Fcfa sur ce film.
Lieux saints
J’ai fait Lieux saints au Burkina Faso, c'est une réflexion sur le cinéma.
 
Une Feuille dans le vent
Mon tout dernier film, Une feuille dans le vent, est ma rencontre avec Ernestine Ouandié. La plupart des films que je fais, c’est souvent les circonstances qui le dictent. Il se trouve qu’à partir de l’an 2000, Ernestine elle-même essaie de rencontrer des gens qui avaient travaillé sur l’histoire coloniale, qui connaissaient un peu plus sur l’histoire de son père. Il se trouve aussi qu’elle avait une amie commune avec ma sœur, à Bafoussam où vit ma mère et où j’allais constamment en vacances. On a fini par se rencontrer, on s’est parlé et elle avait ce besoin qu’on parle de l’histoire de son père et c’est ainsi que l’interview s’est fait.e
J’ai été tellement touché par son histoire, je ne savais pas quelle forme allait prendre ce film à ce moment-là. Dans cette interview, pendant un long moment, elle me parle de la métaphore de la feuille mais je ne comprenais pas. C’est quand elle est décédée que je me suis rendu compte que ça faisait sens. Mais au moment où elle le disait, je n’avais pas les éléments pour comprendre. Je me suis rendu compte de l’importance de ce qu’elle était en train de me dire à ce moment-là et du coup, j’ai trouvé en elle une profondeur qui m’a fait penser que sa parole devra être portée, tout ce qu’elle a dit par rapport au panafricanisme, à la manière dont le Cameroun était perçu par les pays anglophones après les indépendances. C’était le moment de questionner tout ça, de même que l’histoire.
Pour mettre l’histoire d’Ernestine en perspective, j’ai eu besoin de repères historiques. Les archives ce de films sont tirées d’Afrique je te plumerai. Ernestine a souffert de l’absence de son père dans son enfance. Quand elle est devenue femme, elle a eu besoin de connaître l’histoire de son père. J’ai donc structuré le film sur sa vie, celle de son père et l’histoire du Cameroun. Raconter, du point de vue d’une personne, la grande histoire du Cameroun, ces choses dont on ne parle pas. Cette rencontre ne prend de sens que quand on a fait toutes ces réflexions et c’est pourquoi je l’enregistre mais en même temps, il faut que je construise un récit qui permette aux gens de continuer à déconstruire tout un tas de choses qu’on nous enseigne pour nous enfermer dans une façon de voir et de penser.
Quand je suis arrivé chez Ernestine, j’avais juste la caméra, une cassette de 3h, pas de trépied. Au salon, il n’y avait pas assez de lumière pour faire l’interview alors j’ai décidé qu’on le fasse dehors. On s’est assis sur la véranda comme si on avait une conversation. J’ai fait le cadre assez large, je ne voulais pas être en plan serré car je savais que ce qu’elle allait me dire n’était pas simple, j’ai posé la caméra sur mes cuisses. J’ai commencé en français et je me suis rendu compte qu’elle cherchait beaucoup ses mots. Au bout d’une heure, on a repris en anglais où elle se sentait plus à l’aise et là, elle se racontait vraiment.
Quand on a une interview avec quelqu’un qui a une pensée construite qu’elle élabore sur la durée, ce n’est pas facile de la couper. D’abord c’est une femme qui est belle, il y a du plaisir à la regarder et en même temps, il y a toute cette douleur contenue. Dans les salles, quand j’ai montré le film en Europe, beaucoup de gens sont sortis avec les larmes aux yeux. On voit quelqu’un avec autant de force qui part, et en même temps on lui rend hommage sans juger.  Avoir quelqu’un qui, pendant 30-35 mn parle simplement, et c’est sa parole qu’on écoute et dans sa parole, il y a son vécu, une charge émotionnelle que je mets en contexte avec l’histoire de son père, c’est quelque chose qu’on n’a pas souvent vu dans le documentaire.
Parler pour libérer
Un film va juste permettre que les gens commencent à chercher, à parler. Il faut qu’on parle pour libérer tous les gens qui sont dans la souffrance, il ne faut pas avoir peur de cette parole. L’histoire va se constituer de beaucoup de perspectives différentes. La manière dont les uns et les autres ont perçus les mêmes évènements est intéressante à analyser, de savoir pourquoi il y a eu des conflits et comment on avance par rapport à cette histoire, de permettre aux gens de dépasser cela. C’est un travail nécessaire, sinon va continuer à avoir des rancœurs, des traumatismes. Et c’est pourquoi Nkrumah disait que les conséquences psychologiques du colonialisme sont bien plus longues et difficiles à éradiquer que les conséquences politiques et économiques.
 
Les réactions
Quand je fais des films, je sais que j’attends des coups mais il y a des coups qui font très mal car ils viennent de là où on s’y attendait le moins. Ce travail que j’ai fait, pour Ernestine, sa famille, ses enfants, c’était pour moi un engagement dans la continuation de ce que je fais, et c’est très difficile de voir des gens qui viennent vers moi en pensant que c’est un travail que j’ai fait pour m’enrichir sur le dos de quelqu’un. Si je voulais devenir riche, je serai en train de faire un autre type de cinéma et pas celui-là. Je crois que le travail que je fais, que font beaucoup de chercheurs et d’historiens, n’est pas toujours récompensé à sa juste valeur.
Avec certains membres de la famille d’Ernestine ça ne se passe pas très bien, je ne leur en veux pas plus que ça, je sais que la nature humaine est ce qu’elle est mais je suis là, je vais faire face. J’ai été touché par la réaction des enfants d’Ernestine, ça me suffit. Le film n’a pas été beaucoup diffusé, sa première diffusion était le 18 mars 2014. Au moment de l’avant-première, un avocat de la famille d’Ernestine voulait faire interdire le film.
Je tenais à montrer ce film au Cameroun. Les gens sont dérangés au début et finissent par se laisser prendre. Je suis très intéressé par comment les gens ici vont percevoir le film, j’essaie toujours de me placer à ce niveau-là.

 
La suite d’Une feuille dans le vent ?
La suite normalement de ce film devrait être Camarade Emile (Ernest Ouandié) que beaucoup ne connaissent pas. Ça me permettrait de repartir raconter la conscience de ce groupe de Camerounais qui, tout d’un coup, a décidé de se battre pour l’indépendance et est allé jusqu’à l’ONU. Le Cameroun est un des rares pays où ceux qui se sont battus pour la liberté ne se sont pas retrouvé aux affaires mais plutôt ceux qui n’étaient pas prêts pour l’indépendance. Et on se retrouve plus de 50 ans après dans un contexte où les problèmes des gens ne sont pas abordés. La recherche du père, ce n’est pas seulement celui d’Ernestine, c’est tous nos pères qui se sont battus. C’est pourquoi Camarade Emil m’intéresse, ce monsieur qui, avant de prendre les armes, était instituteur.

Le rôle du cinéma
En 1974, il y a le film Pousse pousse de Daniel Kamwa qui a été montré et il a eu un impact très fort. Les jeunes des familles modestes ne pouvaient pas se marier à cause du coût élevé de la dot. Quand l’Assemblée nationale a voté une loi pour dire que le maximum à demander c’est 50 000Fcfa, je me suis rendu compte que le cinéma pouvait amener du changement. Je voulais faire du cinéma pour apporter ce changement qui était nécessaire et qui l’est encore aujourd’hui.
Avec l’élan des indépendances, on voulait changer le monde, on était enthousiaste et on voulait faire du cinéma un outil du développement, les cinéastes voulaient faire partie de l’accompagnement de nos Nations pour résoudre les problèmes des gens.
Le cinéma permet aux gens de s’évader de leurs réalités mais comment aussi ramener ces réalités dans le cinéma ? On vit dans un pays où chaque fois qu’on essaie de parler de quelque chose, on te dit attention, ça c’est de la politique. On ne peut pas parler de l’éducation, de la santé… 25 ans après, les problèmes d’eau sont devenus pires. Comment allons-nous affronter ce qui se passe autour de nous si on refuse de voir ? Notre rôle en tant que cinéaste c’est de poser des questions, d’attirer l’attention, d’amener les gens à regarder ce qui se passe autour d’eux, d’exposer les choses pour que les politiques puissent prendre les bonnes décisions. Le cinéma pousse les gens à une sorte de réflexion.


 Le documentaire et les documentaristes
Le documentaire parce que quand vous faites de la fiction, les gens pensent que ce n’est pas vrai. Quand c’est le documentaire, ils sont gênés, embarrassés. On est dans une situation où les gens ne savent pas décoder l’image. Il faut qu’on se pose la question de comment on imagine notre pays et ce n’est pas seulement au niveau du cinéma.
La question qu’il serait intéressante de poser aujourd’hui c’est de demander à ces gens qui se disent cinéastes pourquoi ils filment. Peut-être ça donnera des éléments pour voir la différence entre tous ces gens. La vision que j’ai du cinéma n’a rien à voir avec cette nouvelle vision.
Ce qui me pose problème c’est que les gens ont du mal à parler quand ils ne savent pas d’où ils parlent. Je crois que la première chose pour un documentariste c’est de savoir d’où tu écris. Si tu ne regardes pas le passé, tu ne peux pas savoir où tu te trouves, ni te positionner dans l’avenir. Quand tu fais un métier, tu regardes déjà ce qu’il y a eu derrière, les enjeux auxquels les autres ont été confrontés et comment ils les ont surmonté. Quand ce travail est fait correctement, on sait quand on prend la parole, dans quelle ligne on s’inscrit.

Je me sens beaucoup plus proche du travail de Pascale Marthine Tayou et de Barthélémy Toguo [plasticiens camerounais, Ndlr] car j’ai le sentiment que nos démarches intellectuelles sont proches. Ils créent des œuvres mais en même temps, ils questionnent. Je trouve ça beaucoup plus intéressant que les gens qui vont me sortir ce que les autres ont fait dans leur pays, soit disant pour faire le cinéma d’observation. Or, il n’y a pas d’objectivité dans le cinéma. Quand tu ne réfléchis pas, tu ne peux pas créer quelque chose qui vaille. Dans mon travail avec les jeunes, je les encourage d’abord à se poser les bonnes questions, on réfléchit, on avance et ça enrichit tout le monde.
La formation des jeunes
Je vais voir avec Barthélemy Toguo pour être plus présent à Bandjoun station [Centre d’art contemporain situé à l’Ouest Cameroun, Ndlr] et initier des conversations, et peut-être des cycles de formation avec des jeunes qui veulent être documentaristes. Je suis fatigué de tous ces gens qui pensent que faire le cinéma est une équation économique et si je n’ai pas en face de moi des gens qui ont une capacité de réflexion par rapport au monde, ce n’est pas la peine de transmettre car pour aborder les questions du monde, il faut déjà avoir une perspective, une vision qui peut être esthétique, artistique, politique. Mais si la seule vision c’est comment est-ce qu’on va vers les ONG se coucher et raconter tout et n’importe quoi pour être financé, ça ne m’intéresse pas.
Le cinéma occupe toute ma vie. J’ai enseigné aux Etats-Unis et en même temps, là-bas, je n’ai pas le sentiment que je contribue à quoi que ce soit, donc, ça m’a très vite ennuyé parce que je suis en face des gens avec qui je ne partage rien.
Les projets
J’ai un projet de fiction en ce moment qui est l’adaptation d’un roman de J-R Essomba, Une blanche dans le noir dont le scénario est écrit. Il me permet de poser des questions sur la distance, l’éloignement et les croyances que nous avons par rapport à la sorcellerie, par exemple.
Depuis dix ans, je suis sur le film L’élue qui n’est pas terminé, j’ai du mal à interviewer même le roi de mon village, Bandjoun. Au Ghana, il y a un ministère qui inclut les chefferies, ils ont trouvé la manière d’intégrer la chefferie dans l’architecture du pouvoir officiel.  A l’Ouest, le roi est la personne la plus élevée après Dieu. Comment on se situe dans le monde quand tu viens d’une région où tu as une échelle d’autorité qui est complètement remise en question par une échelle d’autorité administrative et comment on se situe par rapport à ça dans un contexte panafricain? Ce sont des questions dont nous avons à  faire face.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo

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