vendredi 30 mai 2014

Art brut : des outsiders en jupe

Présentation de La Galerie des Nanas au Québec à travers son site internet et les œuvres folles qu’elle expose.

 
Ce site internet fortement coloré est à l’image des œuvres qu’il vend. La Galerie des Nanas expose l’art insubordonné fait par les femmes. Mais parce qu’on ne peut pas vivre dans un monde sans homme, il y a, depuis le 30 mai, une exception. Depuis cette date et jusqu’au 29 juin, l’espace accueille deux « artistes outsiders » du Québec : Sylvie Fusade et Olivier Blot.
« La Galerie des Nanas est ouverte depuis l’été 2011, au 85 rue Daniel-Johnson, à Danville, en Estrie, au Québec. Il s’agit de la toute première galerie canadienne consacrée à l’art insubordonné au féminin. Cette esthétique, proche parente de l’art brut, singulier, indiscipliné et outsider, suscite beaucoup d’intérêt en Europe et aux États-Unis (notamment à Chicago), mais émerge encore lentement au Québec », peut-on lire sur le site de la galerie.
Une esthétique très peu connue encore dans notre univers artistique africain. L’art singulier est une esthétique marginale adoptée par des artistes autodidactes qui établissent une distance avec l’art officiel et refusent de se laisser influencer par le milieu artistique. Ils ne suivent aucune mode et dérogent aux règles établies.
Parce que les femmes ont toujours été « sous représentées dans les marchés de l’art contemporains », La Galerie des Nanas leur est entièrement consacrée, pour mettre en valeur leur regard et leurs œuvres. Des œuvres très colorées, décalées avec toujours un brin de folie, parfois une grande naïveté. Elles brisent les codes pour se donner à voir sans tabou, avec un côté sauvage, brut et provocateur. Elles donnent une impression d’inachevé, comme la vie tout simplement et les sentiments qu’elle peut provoquer en nous.
Créée par Martine Birobent et son compagnon Jean-Robert Bisaillon, La Galerie des Nanas rend hommage à la série des Nanas de l'artiste Niki de Saint Phalle, une icône de l'art insoumis et protestataire. Les artistes sont exposées ici en duo pendant un mois.

S.D

jeudi 22 mai 2014

Découverte : Ganvié, la vie en eaux calmes

Voyage au cœur de la Venise africaine, un village sur pilotis au Bénin, premier site touristique en Afrique de l’Ouest où le pittoresque le dispute à l’insalubrité. Arrêts obligatoires : la Maison de la francophonie, le marché flottant, la rue des amoureux et l’auberge chez « M ».

Une vue du village Ganvié
 En séjour au Bénin en avril 2014, je décide de visiter Ganvié, cette cité lacustre hautement touristique située à Abomey-Calavi, à une vingtaine de kilomètres au nord de Cotonou. A l’embarcadère, un jeune homme vend des souvenirs et des chapeaux de paille pour se protéger du soleil haut dans le ciel en ce mois d’avril. Le café, qui a laissé ses beaux jours derrière lui, est fermé.  Le gérant de la station touristique nous reçoit dans son bureau.
Le coût de la visite est dégressif selon que le nombre de touristes à prendre sur la même barque est important. Je bénéficie d’une réduction et paie 5050Fcfa. Une somme qui donne droit à une visite qui peut durer deux heures, à l’accompagnement d’un guide mais aussi à un gilet de sauvetage. Il est vieux et sale, la fermeture est cassée. Mais c’est avec soulagement que je l’enfile prestement, moi qui ne me sens en sécurité que sur la terre ferme. Ainsi parée, je suis prête à suivre le guide jusqu’au bout du lac Nokoué, qui abrite le village Ganvié.
Au bout du quai, j’ai une vue magnifique sur la vaste étendue d’eau qui s’étend à perte de vue. Mais la beauté du moment est corrompue par une odeur pestilentielle. L’eau est noire de saleté, remplie de détritus et de larves. Un petit marché de poissons s’est formé sur le rivage et fourmille de monde. J’embarque sur une pirogue motorisée et couverte en compagnie de Christophe, le guide et d’Innocent, le conducteur. L’eau devient plus propre et l’odeur s’estompe au fur et à mesure que l’on s’éloigne du rivage.  
 
La barque qui fend l’eau me donne l’impression que le monde s’ouvre devant moi. Elle tangue doucement et me procure une sensation de bien-être, de paix absolue. De temps en temps, des pirogues-taxis passent à vive allure, ce qui oblige notre embarcation à ralentir pour ne pas chavirer. Le décor est superbe, les scènes de vie empreintes de poésie. Une femme, un énorme foulard sur la tête, porte son bébé entre ses pieds tandis que sa pirogue flotte doucement. Debout sur sa pirogue, un adolescent jette son filet devant lui avec des gestes méthodiques. Un groupe de personnes construisent un parc à poissons artisanal.
Un parc à poissons
 
Ils plantent dans le lac pas très profond (environ 2m en cette saison) des feuilles de palmier et toutes sortes de branchages de façon à former un cercle complètement couvert, un enclos de végétaux destiné à la pisciculture. C’est un piège dans lequel les poissons s’engouffrent et ne peuvent plus ressortir, ils se nourrissent alors de branchages décomposés. Après avoir soigneusement entretenu plusieurs mois durant leur pâturage aquatique et quand les poissons sont gras, les pêcheurs peuvent enfin procéder à la récolte. Sur le lac, plusieurs parcs à poissons s’offrent à voir. Ils appartiennent aux populations de Ganvié et chaque adulte mâle possède son bout du fleuve. Les espèces pêchées ici sont les carpes, tilapias, sardines, silures, crevettes et crabes.
 
La légende de Ganvié
Durant le voyage, le guide se met en devoir de nous raconter l’histoire de Ganvié dont l’origine  remonterait au XVIIIe siècle, à l'époque où des razzias esclavagistes ont obligé les populations de la région à se réfugier dans les marécages du lac. Mais comme souvent en Afrique, l’histoire se confond à la légende. A cette époque donc, les Toffinu (habitants de Ganvié) originaires du Togo devaient fuir une terrible menace. « Ils ont consulté l’oracle qui leur a dit qu’aussi longtemps qu’ils vivraient sur la terre, ils n’auront pas la paix et qu’ils devraient se réfugier sur l’eau. Alors qu’ils se demandaient comment faire pour l’atteindre, leur chef de guerre s’est transformé en un oiseau appelé Epervier pour aller explorer l’eau. A son retour, il s’est transformé en crocodile géant pour permettre au peuple de faire la traversée. C’est ainsi que les premières personnes ont commencé à s’installer sur l’eau, là où il y avait des bouts de terre, en construisant des maisons sur pilotis. Le village a pris corps et a été baptisé Gan Vié. Gan veut dire sauver et Vié, collectivité. Ganvié est donc la collectivité sauvée. Le peuple a abandonné la chasse et la cueillette pour vivre de la pêche », explique le guide.
Carte postale

Après un voyage d’une quinzaine de minutes, Ganvié se dessine devant nous. C’est un regroupement de plusieurs centaines de cases en bois érigées sur des pilotis. Il compte près de 3000 âmes qui vivent principalement de la pêche, mais de plus en plus du tourisme, du petit commerce à l’intérieur du village et de la contrebande du pétrole acheté au Nigéria voisin. Le village a gardé son côté rustique. Mais la modernité y a laissé des traces comme des toitures en tôles. Seules les cases les plus pauvres sont encore coiffées de toitures en paille. Beaucoup de maisons sont dans un délabrement avancé et témoignent de la pauvreté de ses habitants. En l’absence d’un réseau d’alimentation électrique, les populations s’offrent de petits groupes électrogènes. Ici, la pirogue est l’unique moyen de locomotion.

Il est 11h et le village qui s’étend sur 8Km2 est animé. Des femmes apprêtent le repas sur le balcon de leurs maisons, un homme renforce les fondations de sa maison en remplaçant le bois pourri, des enfants jouent sur des pirogues. Ils s’interrompent lorsqu’ils aperçoivent les touristes et tendent la main. L’air agacé, les adultes leur lancent « pas de photo ». Derrière les cases, les détritus flottent sur l’eau. C’est le règne des odeurs nauséabondes et des moustiques. Le village abrite des écoles, des commerces, plusieurs églises et un centre de santé bâtis sur des îlots. L’hôpital le plus proche est à 20 km, à So Tchanhoué. L’îlot le plus important a été créé par les habitants du village  pour permettre aux enfants d’apprendre à marcher, explique le guide. Car ici, les petits apprennent à nager, avant même de savoir marcher. D’ailleurs au Bénin, dire de quelqu’un qu’il marche comme un Ganviénois signifie qu’il marche mal.
 
 
Arrêts obligatoires
 
La difficile quête de l'eau
La visite touristique comporte quelques arrêts obligatoires. Premier arrêt, l’unique point d’eau du village. Plusieurs personnes, la plupart des femmes et des enfants, attendent en rang, sur leur pirogue, de pouvoir remplir leurs bidons de l’eau de ce forage. Second arrêt, le marché flottant avec ses comptoirs achalandés installés sur des pirogues. Tout y est : friperie, beignets, restaurant, fruits, légumes, alimentation... Coiffées de chapeaux à larges bord, les commerçantes discutent gaiement.  
 
Troisième arrêt, la Maison de la francophonie inaugurée en présence des Premières dames Hillary Clinton et Bernadette Chirac, dont les maris participèrent au Sommet de la Francophonie en décembre 1995. C’est une grande baraque en planches dotée de larges fenêtres. A l’intérieur, des installations comme le bar sont abandonnées. Deux commerçants proposent des articles à des touristes : des T-shirts,  des sandales et des objets d’art. En 1996, Ganvié a été proposé au Patrimoine mondial de l’Unesco. Il est aujourd’hui le premier site touristique en Afrique de l’Ouest.
 
L'auberge chez "M"
Autre arrêt obligatoire, l’auberge « Chez M ». A l’entrée, une statue nous accueille. Elle représente le premier roi de Ganvié, le Roi Agbogboé, fondateur du village en 1717. En plus des chambres, l’auberge dispose d’un snack bar-restaurant et d’une boutique de souvenirs. Dernier arrêt, la « Rue des amoureux ». Le soir, les jeunes couples s’y retrouvent pour passer des moments romantiques à bord des pirogues.
 
Après avoir fait le tour du village, la visite prend fin. Le bateau-navette se dirige vers l’embarcadère en passant par la rue du grand canal. Au passage, on aperçoit au loin le cimetière du village, logé sur un îlot retiré. Le chemin du retour se fait en silence. Tandis que le guide pense déjà à son prochain client, moi je me nourris de tout ce que j’ai vu et entendu de Ganvié.  
Stéphanie Dongmo
Crédit photos : Claude Forest

samedi 3 mai 2014

Lady Ponce : « La femme a trop d’amour à donner »

T-Shirt et pantalon noir, une couleur qui fait ressortir l’éclat de sa peau brune. Vernis noir sur le bout des ongles, le tout nappé d’une couche de brillant. Tissage brésilien à mi-dos, maquillage sobre. C’est avec une grande franchise qu’elle parle de son look, de ses petits plaisirs et même de ses erreurs de jeunesse. Voyage sur des sentiers non battus de sa vie.
 
 
D’où vient le nom Lady Ponce ?
Petite, étant la dernière-née de ma famille, j’étais très dorlotée et capricieuse. Quand je voyais un autre enfant, je le tapais. Un jour, un cousin m’a dit : « Tu es la réincarnation de Ponce Pilate ». On a commencé à m’appeler Ponce Pilate au quartier. Lady Diana est morte, toutes les chaînes parlaient d’elle, ça passait en boucle et je la voyais très belle. Quand il a fallu choisir mon nom d’artiste, j’ai laissé tomber Pilate pour choisir Lady. Je peux vous dire que ça n’a pas été facile d’imposer ce nom au quartier. Quand je passais, on m’appelait Ponce Pilate et je ne me retournais pas.
D’où vous vient votre don pour la musique ?
Ma mère était une grande cantatrice. J’ai copié sa voix, sa profondeur, sa façon de chanter. Elle me disait qu’une chanson doit avoir l’âme, de l’émotion. Il faut qu’une chanson émeuve même déjà celui qui la chante. Je n’ai jamais pris le stylo pour écrire un texte. Tout est dans ma tête. Je compose les couplets et les répète dans ma tête.
Vous avez sorti un single, Devine, avec Koffi Olomidé. Comment s’est faite cette collaboration?
Avec Koffi Olomidé
J’ai rencontré Koffi sur un plateau au Cameroun, il a aimé ma musique. Pour moi, Koffi est un baobab de la culture africaine. Je lui ai proposé une collaboration, il a dit oui et m’a reçu chez lui, mes danseurs et moi. J’ai voulu faire un featuring rumba-bikutsi. Il faut courir des risques dans ce métier, essayer des choses nouvelles. En écoutant Koffi, les gens vont écouter le bikutsi qui sera ainsi promu.
Qu’en est-il du featuring sur la chanson Laisse-le moi avec Dora Decca ?
Dora Decca est venue me voir pour faire un butkusi. Elle voulait chanter pour valoriser le mariage polygamique qui a ses avantages.
Mais sur le clip, on voit vos danseurs mais pas vous-même…
Oui parce que quand j’ai accepté ce featuring au moment où j’entrais en studio pour « La loi du talion », sans l’autorisation de mon producteur. JPS m’a envoyé une sommation. La seule solution a été que Dora tourne avec Leti’s Diva et La Maîtresse. J’ai aussi fait un featuring avec John Duchant sur une chanson gospel.
Envisagez-vous une collaboration avec X-Maleya ?
Avec X-Maleya, on a beaucoup de projets dont peut-être un featuring. Je n’en dirai pas plus pour le moment.
Vous êtes devenu une vraie businesswoman. Vous avez ouvert un espace prêt-à-porter et beauté baptisé « Ponce original fashion » et une maison de production, ajouté au cabaret « Ponce attitude ». Comment ç marche ?
Je vais produire de jeunes artistes mais ne peux pas le faire seule. Il y a beaucoup de talents mais il faut choisir. Je peux toquer à des portes pour soutenir les artistes. Pour vous dire la vérité, tous ces business ne me rapportent rien, c’est juste pour permettre aux gens d’avoir des emplois. Franchement, je ne sais même pas combien Ponce Attitude rapporte. L’espace de Bastos me permettait d’avoir des bureaux. Et comme l’espace était grand, j’ai voulu l’occuper en lançant un prêt-à-porter.
Vous lancez un projet nouveau, « La Semaine de la femme en diamant » à l’occasion du 8 mars 2014. En quoi consiste-t-il ?
La femme a trop d’amour à donner, c’est celle-là qui supporte tout. Le but de ce projet est de valoriser la femme multiple, de nouer un dialogue avec les femmes pour leur apporter un plus. A la fin, nous allons décerner des prix : la Bayam-Sellam de l’année, la couturière, la braiseuse de l’année, etc. Il y aura une foire-exposition avec des stands gratuits du 1er au 9 mars à l’esplanade du Stade Omnisports à Yaoundé.
Parlons à présent de votre look et de votre beauté. Où vous procurez-vous vos tenues de scène ?
 
 
Ce sont des fans qui me les donnent. Avant, je travaillais avec un styliste qui s’appelle Afana, maintenant je travaille avec une styliste, Prisca. Elle est venue vers moi et a proposé de m’aider. Ce geste m’a touché. Franchement, ce sont de jeunes stylistes qui me proposent des tenues. Mon petit frère aussi m’offre parfois des tenues de scène et en général, elles me vont bien.
 
Comment vous maquillez-vous ?
Je n’aime pas me maquiller, avant, je ne savais pas le faire. Une amie qui est esthéticienne en France m’achète parfois des fonds de teint là-bas et me montre comment me maquiller. Je peux vous dire que je fais ça vite-fait. Ca me dépasse quand je vois des femmes sexy, bien coiffées, maquillées, tout le temps pimpantes, je les envie.
Votre couleur préférée de fond de teint ?
Je ne sais même pas. Parfois je mélange tout ce que mon amie me donne, je mets ça vite fait et me dit que ça va donner ce que ça va donner. Je n’aime pas trop le rouge à lèvre non plus, mais j’adore le crayon noir. Quand je vais quelque part et qu’on doit me mettre du rouge à lèvre, je demande toujours qu’on entoure les lèvres de noir.
Comment entretenez-vous votre peau ?
J’avoue qu’il fut un temps où je mettais tout et n’importe quoi sur mon corps. Mais aujourd’hui, j’essaie de travailler avec des esthéticiennes qui m’aident.
Utilisez-vous des produits éclaircissants?
Oui, de temps en temps, mais pas de produits bruts. Je reconnais qu’au départ j’ai utilisé des produits bruts. Parfois, on nous propose des produits. On les met et après, on se rend compte que ça ne va pas du tout. Aujourd’hui, j’essaie d’utiliser de bons produits. Pas pour éclaircir ma peau ou me décaper, mais juste pour garder un bon teint, avoir un teint propre.
Vous avez perdu du poids. Que faites-vous pour garder la ligne ?
Pour garder la ligne, je mange tout mais avec modération et à des heures recommandées. Il y a des moments où je prends énormément de kilos parce que je mange en désordre. J’adore la bouffe, je suis un peu gourmande. Je saute pour le temps mon petit déjeuner alors que c’est nécessaire, je mange au plus tard à 13h et je dîne à 19h. Je bois beaucoup d’eau, je mange beaucoup de fruits et vraiment beaucoup de légumes, je ne blague pas avec.
On vous dit bonne cuisinière…
Oui, je suis une grande cuisinière, c’est mon passe-temps favori.
Vos plats préférés ?
Le foss, le sanga.
Faites-vous du sport ?
Oui, la danse que je fais c’est beaucoup de sport. Je fais aussi beaucoup d’abdos à la maison. Mon garde du corps est très sportif, il me montre des positions, comment faire pour perdre le ventre, etc. Ça me permet de vite perdre les kilos et le ventre.
En ce moment, combien de kilos avez-vous ?
Là je suis à 65kg, pour 1m70.
Quel parfum portez-vous?
J’ai au moins six parfums, je les mélange souvent pour obtenir de nouvelles odeurs. Aussi, je ne peux pas vous dire quel parfum je porte. En général, j’aime les parfums de mecs parce que c’est puissant et l’odeur reste très longtemps.
 
Avant, vous portiez des lentilles, pourquoi les avez-vous laissé tomber ?
 
Les gens pensaient que c’était des lentilles de beauté mais c’était des lentilles médicales. J’ai mal aux yeux, j’ai un kyste sous la paupière qui doit être enlevé. Quand je suis allé en France, on m’a dit que je pouvais mettre des lentilles qui sont en même temps des protections pour ma vue parce que je ne voulais pas mettre des lunettes. J’ai donc opté pour des lentilles de couleur. Là, je ne les mets plus parce qu’il faut qu’on m’enlève d’abord ce kyste.
Pas d’implants mammaires ?
Si l’envie me prend de le faire je le ferai, pour me sentir bien dans ma peau. Je ne suis pas contre la chirurgie esthétique, sauf si c’est pour faire du n’importe quoi. Si ça me permet d’être bien dans ma peau, pourquoi pas ? Si on lance des cailloux à ceux qui l’ont fait je dis arrêtez. Il y a des gens qui se suicident parce qu’ils ne se sentent pas bien dans leur peau, il faut les laisser changer ce qu’ils ont envie de changer.
Quel conseil de beauté pouvez-vous donner aux femmes ?
Je demande simplement aux femmes de ne pas envier ce que l’autre fait, ou le teint de l’autre. Ayez le teint et l’image que vous voulez avoir.
Vous êtes une jeune mariée…
Traditionnellement, je me suis mariée. Mais officiellement, je ne suis pas encore mariée, vous aurez la date quand elle sera arrêtée. J’ai trois enfants, deux garçons et une fille. Je me suis retrouvé enceinte du premier à 19 ans. Cédric est né en 2000. J’étais obligé de les mettre dans un pays où ils grandiront tranquillement à cause des horreurs qu’ils entendaient sur moi à l’école.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo. Interview parue dans le magazine Kwin, avril 2014   
 
Discographie
-          Le ventre et le bas-ventre, 2006
-          Confession, 2009
-          Bombe atomique, 2010
-          La loi du talion, 2011

vendredi 2 mai 2014

Eva Doumbia: "J'ai le devoir de raconter des deux côtés ce qui se passe"

Féministe et afropéenne assumée, la metteuse en scène parle de son projet théâtral et littéraire intitulé La Traversée aux disparus qui sera présenté du 5 au 7 mai au Théâtre la Criée à Marseille. Ce projet est composé de quatre textes de femmes, descendantes d’esclaves : La vie sans fard et Ségou d’après Maryse Condé (Guadeloupe), La couleur de l’Aube d’après Yanick Lahens (Haïti) et La grande chambre de Fabienne Kanor (Martinique). Un volet de ce travail, la pièce Femmes de Ségou, a été présenté en février à Yaoundé et sera à nouveau sur scène dans le off du festival d’Avignon, du 5 au 15 juillet.
 
 

Parlez-nous du projet sur lequel vous travaillez, La Traversée aux disparus.
La Traversée aux disparus ce sont quatre textes écrits par quatre femmes : Maryse Condé, Yanick Lahens, Fabienne Kanor, Fatou Sy Savane. Elles viennent d’horizons géographiques différents, sont de générations différentes : 80, 60, 40 et 27 ans, la doyenne étant Maryse. Celles qui lui succèdent sont ses héritières. Ça se lit dans leurs écritures. On commence par son autobiographie [La vie sans fards, Ndlr] qui est aussi une manière pour moi de parler du processus d’écriture.

C’est une traversée à la fois de la littérature et de l’histoire de l’Afrique. Dans les années 1960, Maryse est arrivé en Afrique et a vécu le choc des cultures d’être une Antillaise allant sur le continent des origines. Elle devient écrivain peu après cette rencontre qu’elle raconte dans son autobiographie. Ensuite, on a Maryse qui raconte Ségou qui se passe dans l’Afrique coloniale. Et puis, on se retrouve en Haïti en 2004 avec l’histoire que l’on sait, la première République noire, et enfin on a La grande chambre de Fabienne Kanor qui se passe en France avec un sans-papier aujourd’hui ayant fait la traversée d’une manière volontaire. Il est avec une jeune femme française d’origine antillaise descendante d’esclave et dans leur chambre, s’invitent des fantômes de disparus pendant la traite.
Je travaille sur les écritures de femmes noires parce que je suis une femme noire. Après, ce sont des histoires de rencontre. Je lis un texte qui me plaît, j’ai envie de le porter sur la scène.

Quel sera le lien dans la mise en scène de ces pièces que vous montez séparément?
Elles sont toutes dans le même décor, avec les mêmes comédiennes. Elles sont dix filles et un garçon et chaque comédienne va traverser les écritures de toutes ces femmes. Une partie de la distribution a été rencontré lors des workshops, je donne un atelier et je repère des gens. Les pièces se montent à des endroits différents et puis après, toute l’équipe va se retrouver en avril et on verra comment ça se tisse, des choses vont naître que je n’ai pas prévu. Je travaille beaucoup comme ça, en fonction des rencontres ou de ce qui se passe sur le plateau.

Quel résultat souhaitez-vous obtenir en faisant la confrontation des textes, d’auteures, de style et d’époques différents ?
Quand un scientifique se lance dans une expérience, il ne sait pas le résultat de cette expérience. J’agis un peu comme ça. Je mets les choses ensemble et l’alchimie va opérer.  Je ne travaille pas sur plan mais en fonction de ce qui se passe, des gens. C’est une histoire d’aller et retour entre les comédiens et moi. Les acteurs ne sont pas des marionnettes pour moi et c’est la multiplicité des rencontres qui va faire que le spectacle sera ce qu’il est.  

Dans un projet, il est prévu un documentaire qui sera réalisé par Sarah Bouyain…
C’est un documentaire qui présente chaque auteure, des portraits. Après, il s’avère que Sarah Bouyain a décidé de faire un documentaire pour parler de ce projet, un film qui va s’appeler La Traversée et pour lequel elle cherche des financements, pour parler de l’histoire de l’esclavage par l’écriture. C’est moi qui ai pris contact avec elle au départ sans projet spécifique. J’ai lu son livre Métisse façon dans un premier temps, ensuite j’ai regardé ses films et elle, elle connaissait mes spectacles. On parle des mêmes choses. Ce qu’elle fait dans le cinéma ressemble à ce que je fais dans le théâtre. C’est contemplatif et elle travaille sur la question des origines.

Finalement, est-ce un projet théâtral, littéraire ou cinématographique ?
C’est tout ça à la fois. Le théâtre seul, ça n’existe pas. C’est  toujours fait avec un texte, une interprétation, de la musique, de la lumière, c’est un art total. L’art dramatique d’Afrique, et je revendique cette racine-là, est fait de plusieurs disciplines. Ce n’est pas un art de texte. Là, il s’avère que je fais un travail  autour de textes. Mais dans ce que vous avez vu de Ségou, il y a des choses que le texte ne peut pas dire et que la musique peut raconter, des émotions que la musique peut rapporter. Dans ce projet, on utilise pratiquement tous les éléments possibles et même la cuisine.

Dans votre travail, vous essayez de jeter des ponts entre l’Afrique et l’Europe, avez-vous le sentiment d’y arriver ?
Oui, je pense que j’y arrive. Il y a des ponts puisque les gens se reconnaissant dans mon travail, des deux côtés. En France, on dit que je fais un travail communautariste.

Et en Afrique, qu’est-ce qu’on dit ?
Ça dépend de qui parle et des coins, puisqu’il y a des pays auxquels j’appartiens. Au Mali je suis Malienne, en Côte d’Ivoire je suis Ivoirienne, j’ai d’ailleurs un état civil ivoirien. Je n’ai jamais eu l’impression qu’on parlait de mon travail comme d’un travail importé, d’autant plus que cette dernière forme est faite à partir d’une culture que je connais pas mal. Les gens viennent voir mes spectacles en France en pensant voir du théâtre africain. La plupart du temps, ils sont très déçus parce que ce qu’ils attendent, c’est des djembé et des gens qui dansent. Je pense que mon travail est métis. Dans le fond culturel premier il est français, je suis une fille de la République et en même temps, il y a toutes ces influences par mon éducation, ce que j’ai entendu comme musique, les histoires qui m’ont été raconté, les voyages qui ont alimenté mon travail.
 
La Traversée aux disparus
 
N’êtes-vous pas écartelée entre deux mondes ?
Le travail que je fais me permet de ne pas être écartelée, de faire le lien intimement. Ce qui est très compliqué dans le métissage c’est d’appartenir à la fois à un continent qui a souffert et à un continent qui a martyrisé, le bourreau et la victime. Nous sommes des hybridités, des monstres. C’est comme être l’enfant d’un viol. C’est ça qui peut être vécu comme quelque chose de douloureux parce qu’en soit, le métissage est une richesse.

Et vous, où vous situez-vous, bourreau ou plutôt victime ?
Ça dépend des jours, on est toujours l’un et l’autre en même temps. Quand je suis en Afrique, je ne me sens jamais complètement bourreau et jamais victime parce que je suis dans des endroits où j’ai un pouvoir économique. C’est plus compliqué en France d’être Noir, surtout aujourd’hui parce qu’il y a une histoire qu’on refuse d’entendre pour ce qu’elle est, une méconnaissance de l’histoire de la colonisation qui est terrible. Je pense qu’on s’attèle à faire taire ceux qui veulent la raconter. Il y a pleins de moyens très subtiles pour le faire : ne pas les éditer quand ils sont auteurs, ne pas les diffuser quand ils sont metteurs en scène, raconter qu’ils ont pété les plombs, etc. C’est une aberration d’aller chez quelqu’un, de prendre sa maison et de lui dire : ‘‘ maintenant tu vas manger ce que je mange, porter le nom que je te donne, t’habiller comme moi’’. Il y a beaucoup de gens qui ne connaissent pas cette réalité. Les gens qui habitent comme moi la frontière ont le devoir de raconter des deux côtés ce qui se passe.

Vous accompagnez aussi des personnes métisses comme vous qui veulent entreprendre un retour aux sources. Comment ça se fait ?
Je le fais très régulièrement. Là, ça été le cas avec Atsama Lafosse [comédienne dans Femmes de Ségou, Ndlr] qui est venu travailler pour la première fois au Cameroun, elle dont la mère est Camerounaise. Elle était venue en vacance petite et n’était pas revenu depuis 11 ans. Elle a maintenant un désir très fort de travailler ici. Effectivement, quand je travaille avec des métis, je me dis toujours que c’est bien qu’ils fassent cette démarche. Je pense que c’est important pour l’équilibre des personnes en général, quand elles ont plusieurs origines, d’être en lien avec ces racines. Après, tout le monde n’a pas la même démarche, il y a des gens qui s’en foutent complètement.

Et vous, qu’est-ce que ce retour aux sources vous a apporté ?

Je suis très Léonora, j’habite à la frontière, j’ai besoin des deux. Ça m’arrive très souvent d’assister à des malentendus et de comprendre le malentendu, de savoir que telle personne, de telle culture ne comprend pas ce que fait l’autre personne de l’autre culture. J’ai besoin que cette partie de moi-même qui est africaine puisse exister à l’endroit où elle est, sur son territoire. Je pense que nous qui sommes des enfants des diasporas avons le devoir de ramener quelque chose à l’Afrique. C’est à nous de transmettre des compétences donc nous avons bénéficié par le billet de l’école républicaine parce qu’en fait on a forcément une démarche qui peut se débarrasser de toute tentation néocoloniale. C’est très important que ce soit nous qui le fassions.

Comment vous vivez votre métissage en France ?

Quand on est métis, on est Noir en France. Par exemple, on te demande tout le temps d’où tu viens. Alors, au bout d’un moment, on finit par aller le chercher, cet endroit d’où on vient car apparemment, on n’est pas d’ici. C’est très compliqué et ce le sera toujours. Ce qui se passe au niveau politique avec l’affaire Dieudonné, a été assez emblématique. Je ne suis pas forcément d’accord avec les déclarations de Dieudonné, je trouve qu’il va très loin mais en fait, ce que j’ai trouvé extrêmement violent, ce sont les réactions. D’un coup, on ne permet plus l’expression. Un tas de gens comme moi, qui s’en foutaient, ont été obligés de prendre position. Ça veut dire qu’il y a qu’un seul génocide, ça veut dire que la traite, la colonisation, ce n’est pas grave. Ça a mis en perspective quelque chose qui est terrible pour les Français d’origine colonisée. C’est très loin d’être gagné puisqu’on est même en train de reculer. On ne veut pas entendre qu’il y a avait des sociétés organisées avant la colonisation, ça continue à nous détruire et c’est pour cela que j’ai voulu travailler sur Ségou. La traite n’est pas quelque chose de réglée et en France aujourd’hui, on ne peut pas le dire. Si on le dit, on est renvoyé à un communautarisme parce que la plupart des gens n’ont aucune conscience de ce que c’est. Vu qu’ils ne voyagent pas, ils ne voient pas. Quand on voit, on réalise.

J’allais souvent au Niger et c’est terrible. Le Niger n’appartient pas aux gens qui y vivent mais à une entreprise qui s’appelle Areva. Quand il y a eu deux enlèvements de Français et qu’ils ont été tués pendant l’assaut, ce qu’on ne disait pas en France c’est que 30 soldats nigériens ont aussi été tués. Dans le Nord du Mali, on envoie des contingents africains devant sur leurs propres terres et ça, quand on le voit, on est obligé d’être révolté et de devenir anticolonialiste.

Est-ce que Ségou justement peut permettre de comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans le Nord du Mali ?
Exactement, C’était un peu mon but, de raconter que cette histoire n’a pas commencé maintenant. Rien ne vient de rien, c’est toujours la suite d’une histoire.  

Qu’est-ce qu’on a perdu ?
La Traversée aux disparus
On a perdu beaucoup en spiritualité. Je pense que les religions révélées sont une catastrophe car elles ne sont pas adaptées à nos sociétés. Il y a quelque chose qui existe et quelqu’un de l’extérieur arrive et le détruit au nom de la religion, au nom d’un dieu hypothétique. Imposer une religion à un autre est toujours une aberration et il me semble que ce ne sont que les religions révélées qui font ça, qui mènent à ça. Derrière, il y a toujours une volonté de récupérer des terres. Il y a des Maliens aujourd’hui qui disent qu’ils ne sont pas musulmans. C’est récent et en réaction à ce qui se passe.

Vous parlez beaucoup de Léonora Miano avec qui vous avez travaillé sur Afropéennes. Envisagez-vous de travailler avec elle ?
Je partage pas mal de choses avec elle. Tout ce qu’elle dit trouve un écho en moi, ça me parle beaucoup. Une nouvelle collaboration ? Ça dépend d’elle. Je ne sais pas si elle a envisage de retravailler avec moi sur un projet, même si Afropéenne s’est très bien passé. Je pense que c’est assez douloureux pour un écrivain de voir son œuvre sur scène, il y a une dépossession. L’écriture est un travail solitaire et ce que le lecteur va en faire lui appartient. Là, il y en un partage collectif du texte à travers un autre artiste. Cela peut  être violent pour un écrivain.

Sur La Traversée aux disparus, les auteurs ont-ils un droit de regard ?
Avec chaque écrivain, la relation est différente. Maryse suit les choses de loin. Comme elle a vu Afropéenne, ce que je faisais avec le travail de Léonora, elle a confiance. On est allé chez elle avec l’actrice qui joue La vie sans fard, elle est d’accord avec notre adaptation. Elle a eu des échos de Femmes de Ségou et est assez contente de ce qui se passe. Yanick a vu plusieurs étapes du travail et à un moment, elle m’a fait une remarque mais sinon, je travaille seule. Avec Fabienne, on est beaucoup plus proche  parce que c’est moi qui lui ai commandé le texte. Et puis, on partage aussi le fait d’être de la même génération, d’être afropéennes. On est très en phase quand on se parle, on se comprend à demi-mot. Avec Léonora, je l’ai invité à venir à la répétition mais je crois qu’elle ne voulait pas s’impliquer et qu’elle était plutôt contente de voir le résultat. Mais c’est quand même violent puisque ce n’est plus son texte, c’est un texte qui appartient et qui est dit devant plein de gens.

Pourquoi ne pas chercher des textes de théâtre ?
En France, il n’y a un seul texte de théâtre qui parle de ces problématiques : Papa doit manger de Marie Ndiaye. Et il a été tellement monté et bien que je ne vais pas le monter aussi. J’ai un propos et je ne trouve pas d’auteurs d’art dramatique qui ont des propos qui correspondent au mien.

Envisagez-vous de vous mettre à l’écriture puisque le texte a finalement beaucoup de place dans votre travail?
Je pense qu’on ne sait pas tout faire. Par contre, j’ai un sens littéraire fort qui fait que je sais adapter. Je sais écrire, j’ai un propos mais je ne suis pas une bonne conteuse. J’ai voulu être écrivain en premier, j’étais sur plusieurs pistes artistiques en même temps. Je faisais de la danse et du théâtre au lycée, je voulais être comédienne comme beaucoup de jeunes filles. Je pense aussi que quand on est différents, métis ou homosexuel, le milieu artistique est très attirant parce qu’on a l’impression de pouvoir exprimer sa différence. Assez vite, j’ai compris que j’étais plus douée pour être derrière la scène. Ça se passe bien mais il y a des difficultés parce qu’il n’y a pas d’argent.

Justement, comment arrivez-vous à tourner en Afrique avec vos pièces qui comprennent souvent une multitude de comédiens?
C’est le paradoxe. Je peux faire des spectacles africains avec l’argent de la France, du colon. Sur Ségou, j’ai essayé d’embarquer un partenaire africain mais à partir du moment où on vient de France, on part du principe qu’on a les moyens. Je trouve que c’est une très mauvaise mentalité. On est anticolonialiste dans le discours mais en même temps, dans l’attitude, on  ne l’est pas.

Vous avez présenté en février à Yaoundé une adaptation du Tome I (Les murailles de terre, 1984) de la saga de Maryse Condé qui constitue un volet de "La Traversée aux disparus".  Pourquoi faire un zoom sur les femmes alors que dans le roman, elles sont plutôt effacées ?
 
C’est un choix artistique. C’est vrai que dans le roman, les personnages principaux sont des hommes et on a la parole des femmes qu’à travers le destin des hommes. Moi, cela m’intéressait de donner la parole à ces femmes. Je suis venu au Cameroun avec une équipe [Salimata Kamate (Côte d’Ivoire), Assitan Tangara et Lamine Soumano (Mali), Atsama Lafosse (France), Ndlr] que j’ai mélangé à des comédiens d’ici [Junior Esseba, Hermine Yollo, Clémentine Abena, Becky Beh, Ndlr]. On a développé les personnages de Ségou en fonction des propositions. Je travaille avec une jeune auteure ivoirienne, Fatou Sy Savane. Elle travaille sur l’adaptation du texte de Maryse Condé. Il y a eu une première étape de ce travail à Bassam en Côte d’Ivoire et Fatou s’est inspirée de ce que proposait les comédiennes. Elle parle aussi en son nom de jeune femme africaine de 27 ans et elle dit des choses qui sont totalement d’actualité.
Est-ce que cela a été plus facile de travailler avec des comédiennes ouest-africaines qui sont plus proches des réalités décrites dans la pièce qu’avec des comédiennes camerounaises ?
Non, il y a des difficultés dans les deux cas : effectivement les comédiennes ouest-africaines qui sont malinké et même bambara comprennent exactement de quoi on parle mais ont des difficultés à dire ce texte littéraire écrit par une Antillaise. En revanche, les comédiennes camerounaises ont un rapport à l’écriture littéraire de Maryse Condé beaucoup plus facile, un rapport très fort à la langue française parce qu’on est beaucoup plus francophone au Cameroun qu’au Mali.
Femmes de Ségou décrit bien la situation des femmes à cette époque du 18ème siècle. Avez-vous l’impression que les choses ont évoluées malgré le temps?
Il y a des choses qui ont changé mais ça ne change pas de la même manière que dans d’autres régions du monde, il y a un fond culturel qui reste. Je pense que les femmes africaines doivent se libérer par elles-mêmes. On ne pas être libérée par quelqu’un d’autre, c’est un non-sens, il n’y a que soi-même pour se désaliéner. Dans ces temps-là, est-ce qu’elles savaient qu’elles étaient opprimées ? Je ne crois pas. Aujourd’hui est-ce que la jeune femme africaine est plus libre ? Elle est soumise à des diktats économiques et sociaux qui ne la concernent pas, ses relations amoureuses sont très compliquées puisqu’elle est toujours mise en concurrence avec la femme blanche, même quand celle-ci n’est pas présente, donc elle la déteste alors qu’elle ne lui a rien fait puisqu’elle aussi subit. Elle n’est pas libre. Je pense qu’il y a quelque chose d’hybride qui doit s’inventer. Avec le pouvoir économique de la femme, l’homme perd sa virilité, il ne sait plus où se placer mais il me semble que dans le règne animal, chez beaucoup de mammifères, c’est la femelle qui domine l’homme. Et je pense que dans l’histoire, à un moment donné, quelque chose s’est passé qui a retiré cette suprématie à la femme. Le fait que la femme devienne forte, c’est quelque chose qui est dans l’ordre naturel des choses. Après, c’est une féministe qui parle.
En regardant la pièce, on se rend compte que l’esclavage existait déjà dans les sociétés africaines avant la traite négrière. L’une des formes d’esclavage est-elle plus inique que l’autre ?
L’esclavage de caste est une organisation de la société. L’esclavage de la traite implique une destruction des structures qui existent et elle vient de l’extérieur. Au royaume de Ségou, il y avait des captifs de guerre, des esclaves de caste, des gens qui étaient au service des nobles comme il y en avait en Europe avec des serfs au Moyen-âge, et puis il y a la traite. Naba qui est un noble bambara est capturé pour devenir esclave pour des Européens, on va le retrouver au Brésil. Ce n’est pas la même histoire. L’esclavage de caste, on est d’accord ou pas avec, c’est un système d’organisation sociale et ça existe encore. L’esclavage de la traite est un génocide, une catastrophe humaine. L’esclave de caste n’est jamais déshumanisé, ça reste un être humain. L’esclave de la traite est déshumanisé, on en fait un animal. 

Propos recueillis par Stéphanie Dongmo, Yaoundé, février 2014