vendredi 19 septembre 2014

Découverte : Le "village artisanal" du Tchad perd son originalité

A Gaoui, les décors picturaux, réalisés exclusivement par les femmes sur les façades des maisons en début de saison sèche, disparaissent progressivement face à l’urbanisation. Heureusement, les poteries sont toujours là, le musée communautaire aussi.

A l'entrée du musée
Village Gaoui, dans le dixième arrondissement de N’Djaména, capitale du Tchad. Ici vit le peuple Kotoko, dignes descendants des Sao, présentés comme des hommes de grande taille à la civilisation riche.
Dès l’entrée du village, on peut apercevoir des montagnes de jarres en terre cuite. Plus loin, plusieurs femmes installées sur un terrain vague travaillent à fabriquer ces jarres qui devront servir à conserver l’eau potable dans les concessions. Les poteries de ce village sont vendues dans les grandes villes tchadiennes et au-delà. Elles ont la réputation d’être solides et de  conserver l’eau toujours fraîche, même quand il fait très chaud, par un phénomène naturel d'évaporation-condensation sur les parois poreuses du récipient.
Motifs géométriques
Un dessin artisanal sur un mur
Gaoui, surnommé « village artisanal », est composé de cours communes entourées par des murailles de terre et reliées par de longues et étroites ruelles. Les façades de certaines maisons sont ornées de décors picturaux aux motifs géométriques. Peintes par les femmes d’ici à base d’une peinture traditionnelle dont elles ont le secret, ces dessins empreints d’une grande poésie représentent des scènes de la vie courante.
« Avant, toutes les maisons de ce village portaient ces ornements, c’est ça qui attirait les touristes et faisaient la particularité de ce village. Maintenant, les gens mettent de la peinture  industrielle sur leurs maisons et les dessins disparaissent », se désole Allamine Kader,  réalisateur tchadien venu en pré-repérage dans le village pour un projet de film documentaire. Le cinéaste Mahamat Saleh Haroun avait déjà tourné une partie de son film « Daratt »  (1h36, 2006) à Gaoui.
Situé auparavant à une dizaine de km de N’Djaména, le village Gaoui est maintenant devenu un quartier du 10ème arrondissement de la capitale et se modernise. Les toitures de tôles remplacent progressivement les toitures de paille, les briques de terre font place aux  parpaings de sable et de ciment, tout comme les dessins sur les murs cèdent la place à la peinture industrielle.
Témoignage du passé
A l'intérieur du musée
Heureusement, le musée communautaire est là, qui attire encore l’attention des touristes. Les bâtiments construits en terre cuite, selon l’architecture kotoko, sont ceux de l’ancien sultanat transformé en musée en 1992. Dans la petite bibliothèque municipale, qui sert aussi de bureau au directeur du musée, des livres poussiéreux issus de dons divers attendent désespérément d’être lus.

La visite commence par la salle 1. Ici sont exposés des objets Sao, notamment des vases et des figurines humaines. La salle 2 permet de découvrir des outils de pêche Sao, notamment un piège à poisson et un harpon à bout pointu. La salle 3 fait la promotion de la poterie kotoko, réputée dans tout le Tchad pour être la meilleure. Dans la cour du musée, il y a le grenier de la grand-mère de l’actuel sultan et il faut se baisser pour y pénétrer. Une chambre à l’arrière abrite des trésors cachés, notamment une robe brodée à la main il y a 150 ans et portée par les princesses du sultanat.
Après cela, visite des chambres des trois épouses du sultan. Les deux dernières étaient logées au rez-de-chaussée tandis que la première avait l’honneur d’occuper l’étage. Ici, le plancher en bois menace de s’effondrer à chaque pas rapide. La dernière réfection du musée communautaire date de 2007, sur financement de l’Union européenne. Sur les murs de cette salle, des portraits des principautés kotoko. En bonne place figure un portrait du Mey actuel depuis 1995, sa Majesté Alhadji Hassana Abdoulaye.

Fouilles archéologiques
Des poteries kotoko dans le musée
Les objets que recèle le musée communautaire de Gaoui sont issus des fouilles archéologiques, qui ont mis au jour une riche civilisation matérielle Sao. Et depuis lors, interdiction pour les villageois de creuser même un puits sans une autorisation de la mairie, en raison des espoirs de trouver encore des témoignages du passé dans le sous-sol de ce village kotoko, qui s’est d’ailleurs construit sur un site archéologique. La conservation du Musée est assurée par un comité de gestion, sous l’égide du Musée national tchadien.

Aujourd’hui, le village est menacé par l’extension urbaine de la capitale, malgré une ceinture d’espace naturel imposé par les services d’urbanisme. Lancé en 2008 par le président Idriss Deby Itno, le projet de ceinture verte autour de N’Djaména, qui s’étend sur près de 800 hectares, a pour but de contrer l’avancée du désert. Mais pas l’avancée de l’urbanisation. Il est à craindre, à court terme, que le village Gaoui y perde son âme.
Stéphanie Dongmo au Tchad

lundi 15 septembre 2014

Dossier: le Festival du film de Masuku cherche ses marques

Editorial: Un défi à relever

Sur le continent africain, les festivals de films spécialisés sur l’environnement se comptent sur les doigts de la main. Les rares qui existent rencontrent d’énormes difficultés spécifiques qui ont contraint certains festivals à fermer leurs portes. Les films n’attirent pas les foules, les organismes d’aide aux productions filmiques les soutiennent peu, à cheval qu’ils sont entre l’environnement et le cinéma.
Pourtant, les enjeux environnementaux en Afrique sont énormes, du souillage du Delta du Niger en passant par l’assèchement à 80% du Lac Tchad. Les effets des changements climatiques n’ont pas de frontière et se font ressentir rudement : températures élevées cause de déforestation, rareté et mauvaise qualité de l’eau entraînant des maladies hydriques, insécurité alimentaire source de pauvreté, migrations provoquant des nuisances, etc.

La protection de la nature est une cause planétaire et nous concerne tous, appelés que nous sommes à devenir des éco-citoyens. Le cinéma est un excellent canal pour véhiculer ce message, martelé à l’occasion de festivals dont le but est d’inciter les populations à adopter les bonnes pratiques et leur permettre de s’adapter aux effets du dérèglement du climat. Ces rencontres sont aussi un appel aux cinéastes de prendre en compte les préoccupations environnementales dans leurs productions, sans forcément verser dans l’intervention sociale.
Le Festival du film de Masuku veut relever ce défi à partir de Franceville, ville située à près de 800 Km de la capitale gabonaise. Quoi de plus normal dans un pays recouvert à 75% par la forêt ? D’autant plus que la découverte, en 2008, de fossiles prouvant l’existence d’organismes multicellulaires il y a 2,1 milliards d’années à Franceville, fait du Gabon le berceau de la vie sur terre. Le Festival du film de Masuku, dont la seconde édition s’est tenue du 13 au 17 août 2014 à Franceville, est donc un défi pour le Gabon et, partant, pour l’Afrique centrale.

Notre travail est d’attirer l’attention sur de telles initiatives, porteuses de sens et de vie pour nous et pour les générations à venir. Nous espérons contribuer ainsi à poser les bases d’un développement humain durable.
 

Masuku cherche ses marques  

La seconde édition de l’évènement spécialisé sur la nature et l’environnement s’est déroulée du 13 au 17 août 2014 à Franceville, à près de 800 km de Libreville, la capitale gabonaise. Malgré une programmation riche, le festival cherche encore son public et doit convaincre les cinéastes gabonais.
 
Projection à Franceville

La carte blanche consacrée à Jean-Claude Cheyssial annonçait déjà la couleur de cette seconde édition du Festival du film de Masuku, nature et environnement. Cinq documentaires du réalisateur français ont été programmés hors compétition. Des films qui amènent le spectateur au cœur d’une forêt gabonaise luxuriante pour lui faire découvrir ses traditions, mythes et spiritualité.

Cette année, la programmation a été plus diversifiée et ouverte à l’international. C’est le film Siggil, un court métrage fiction du Français Rémi Mazet (20mn, 2010) qui remporte l’unique distinction du festival, le Prix du public. Autre film remarqué, A la recherche des origines ? 2 milliards d’années d’histoire (44mn, 2013) d’Abdelkader El Albani. Un documentaire qui retrace la découverte, près de Franceville, de fossiles en excellent état qui prouvent l’existence d’organismes pluricellulaires il y a 2,1 milliards d’années. Jusque-là, on supposait que la vie multicellulaire était apparue sur la terre il y a seulement 600 millions d’années. A l’ouverture du festival le 13 août, un hommage a été rendu à Bakary Diallo, dont le film Dankumba (12mn, 2001) était en compétition officielle. Le réalisateur malien est décédé dans le crash d’Air Algérie le 24 juillet dernier, en compagnie de son confrère camerounais Lorenzo Mbiahou.
Concurrence
Cependant, les 18 films annoncés dans le programme n’ont pas été tous diffusés. Nadine Otsobogo, la déléguée générale du festival par ailleurs réalisatrice et chef maquilleuse, l’explique par la présence d’autres écrans dans la ville : « Cette année à Franceville, au mois d'août, il y a eu au moins trois projections organisées par d’autres structures, ce qui n’était pas du tout prévu pour nous. C’était assez compliqué à gérer ».
En effet, dans le cadre de la caravane « Beaufort cinéma plein air », la Société des Brasseries du Gabon (Sobraga) organise une tournée nationale de projections du 28 juillet au 13 septembre 2014, à raison de trois soirées par ville. A Franceville, la caravane a coïncidé avec le festival Masuku. Les deux évènements ont pour partenaire l’Institut gabonais de l’image et du son (Igis).
Nadine Otsobogo est quelque peu amère : « C’est bien qu’il puisse y avoir plusieurs festivals ou caravanes au Gabon mais c’est dommage que dans une ville comme Franceville, il y ait plusieurs écrans pendant la même période. Nous ne sommes pas en concurrence. Notre but est que le public puisse aimer le cinéma et qu’à la longue, on ouvre des salles. Nous encourageons les gens à s’unir pour proposer le meilleur de la culture gabonaise et internationale puisqu’on a le même but, et non pas se disperser à mettre plusieurs festivals, plusieurs écrans dans le même pays, la même ville pendant la même période. Il faut qu’on puisse être cohérents », regrette-t-elle.
D’autant plus que la caravane de la Sobraga a installé, en plein cœur de Potos, quartier le plus chaud de la ville, un écran géant de 10x7m et diffusé des films gabonais (des classiques et des productions récentes). Faisant du coup passer le festival, avec son écran de 4x3m et ses films pas toujours grand public, au second rang. Le festival de Masuku s’en ai tiré avec à peine une trentaine de spectateurs à chaque projection, en dehors de la soirée d’ouverture.

Directeur de l’Igis, Imunga Ivanga précise que si l’institut est partenaire des deux évènements, il n’en est pas l’initiateur : « nous n'avons donc aucune influence sur les dates choisies par les deux structures. Le Festival du Film de Masuku est construit autour d'une thématique bien précise : la question de la nature et l'environnement. Cela se veut très ciblé. L'opération de la société Sobraga vise, elle, à un divertissement total. Cela laisse donc le choix au public».

Annulations
François Onana
La rareté du public accentuée par le fait que le programme des projections s’élaborait au jour le jour, ce qui ne permet pas de fidéliser le public. Par ailleurs, sur ses affiches, le festival annonçait d’autres activités : des conférences, des ateliers de formation et un marché du film. Un seul atelier s’est tenu, animé par François Onana, scénariste et réalisateur gabonais. L’année dernière, au cours de la première édition du festival, les spectateurs s’était montré intéressé à acquérir des copies des films pour les partager avec leurs familles. Le marché du film devait essentiellement être consacré à productions gabonaises sorties en Dvd. Il n’a pas eu lieu.

Cette seconde édition du festival du film de Masuku avait pour marraine Danny Sarazin, directrice du Festival international du film animalier et sur l’environnement qu’elle organise depuis 1996 à Rabat au Maroc. Deux évènements qui ont pour but de sensibiliser, à travers l’image, le grand public sur la préservation de la faune et de la flore. Imunga Ivanga est cependant optimiste : « le festival est jeune et il va grandir d'années en années. Il en a le potentiel. Et ses initiateurs ont la volonté et du talent. Le succès suivra naturellement. C'est un travail de longue haleine. C'est toujours un combat de rallier le public mais un festival s'apprécie également sur d'autres aspects ».
 

Nadine Otsobogo

« Le public est timide à la thématique de l’environnement »

Déléguée générale du Festival du film de Masuku, elle fait le bilan de cette 2ème édition et annonce les couleurs de la prochaine.

 


Quel bilan faites-vous de cette 2ème édition du Festival du film de Masuku ?
Le bilan est assez positif car à la 1re édition, on n’avait pas eu autant de film ni autant d’engouement. Notre parrain de l’année dernière [Le ministre sénégalais de l’Environnement, Ndlr] n'avait pas pu se déplacer. Cette année, nous avons eu une marraine qui était là. Elle a apprécié les films et l’initiative. Des bénévoles ont fait le déplacement depuis Libreville pour nous soutenir. Il y a des choses à améliorer évidemment, mais c’est positif, sincèrement, dans l’ensemble. Je dis un grand bravo à tout le comité d'organisation de ce festival.

Certains invités, annoncés au départ, ne sont pas arrivés. Le marché du film annoncé a été annulé. Que s’est-t-il passé ?
On n’avait pas tenu compte de l’administration tout simplement. Certaines personnes n’ont pas eu le temps pour les visas, les délais étant justes. C’est le cas du tunisien Habib Ayeb qui s’est désisté tout en nous encourageant. A la première édition, il n’y avait pas d’invités internationaux. C’était donc la première fois qu’on était confronté à ça. Par ailleurs, on s’est rendu compte que c’était un peu tôt pour le marché du film, on l’avait annoncé pour les réalisateurs gabonais d’abord et ils se sont désistés au dernier moment, alors qu’ils avaient donné leur accord de principe.

Que comptez-vous faire justement pour conquérir la confiance des professionnels du cinéma gabonais qui semblent bouder ce festival ?

Bouder c'est un grand mot! Pour l'instant, je crois qu'ils ne s'y retrouvent pas. On se méfie en général de ce qui est nouveau, et nous n'avons pas à conquérir ces personnes. Le but de notre association est la culture pour tous. Et l'environnement, c'est l'affaire de tous. On a eu beaucoup moins de partenaires que l’année dernière. Cette année aussi à Franceville, au mois d'août, il y a eu au moins trois projections organisées par d’autres structures, ce qui n’était pas du tout prévu pour nous. Nous ne sommes pas en concurrence, nous encourageons les gens à s’unir pour proposer le meilleur de la culture gabonaise et internationale puisqu’on a le même but, et non pas se disperser à mettre plusieurs festivals, plusieurs écrans dans le même pays, la même ville pendant la même période. Il faut qu’on puisse être cohérents.
Le public est resté timide, comment entendez-vous l’intéresser pour les prochaines éditions ?
Le public est plutôt timide à la thématique de l'environnement, je pense. Mais vous avez remarqué quand nous avons projeté les films de Jean-Claude Cheyssial, le public était assez intéressé, certainement parce que c'est filmé au Gabon. Donc, nous allons revoir notre programmation et, avec les conseils de Danny Sarazin, notre marraine, multiplier les initiatives sur l'environnement tout au long de l'année.

Y a-t-il des difficiles particulières à l’organisation d’un festival à thème ?
Certainement. Déjà organiser un festival n'est pas une petite affaire, mais en plus, avoir une thématique, c'est pas facile. C’est très dur, j’apprends juste que les gens ont parfois la langue bien pendue, ils promettent beaucoup et à la fin, rien du tout. Ce festival, c’est comme une petite niche mais l’environnement qui est notre quotidien. C’est beaucoup plus sain de parler de ce quotidien. Le Gabon, l’Afrique, le monde est un bel environnement que l'on doit protéger, et notre sensibilisation passe par l'image. On a l'impression que c'est restreint mais c'est vaste.

En deux ans, avez-vous le sentiment que vous avez contribué à faire prendre conscience de la nécessité de protéger l’environnement ?
Ça va prendre du temps mais je sais que petit à petit, les gens vont capter et comprendre. A un moment donné, ils vont se dire : on veut autre chose, un environnement sain, une ville propre, des forêts protégées. Je suis persuadée de ça.  

Que peut-on attendre déjà de ce festival l’année prochaine ?
Déjà, les réalisateurs qui n'ont pas pu se déplacer seront réinvités, les films qui n'ont pas pu être projetés seront reprogrammés. Ce festival est comme un bébé. L’année prochaine, il aura 3 ans, il pourra, on l'espère, se mettre debout et marcher.

Dossier réalisé par Stéphanie Dongmo

samedi 13 septembre 2014

Cinéma : Interroger le passé pour envisager le futur

Premier prix du documentaire au festival Ecrans noirs 2014, « Une feuille dans le vent » de Jean-Marie Teno présente la quête de vérité d’Ernestine Ouandié, mis en perspective avec l’histoire de l’indépendance du Cameroun.

 « Comment voulez-vous qu’une feuille détachée de sa tige puisse vivre ? Je suis comme une feuille, j’ai besoin de la branche pour vivre. Quand vous coupez la branche, la feuille se dessèchera, le vent la fera voler à gauche, à  droite, en haut, en bas et la feuille disparaîtra un jour ». Cette phrase d’Ernestine Ouandié résume bien toute son existence. En quelques mots, le personnage principal du film « Une feuille dans le vent » dit son mal-être et sa quête perpétuelle du père.
Née en 1961 au Nigéria, Ernestine est la fille d’Ernest Ouandié, le nationaliste camerounais qui prit la tête de l’Upc après l’assassinat de Ruben Um Nyobè en 1958 et de Félix Moumié en 1960. Dans ce documentaire de 55mn, elle se livre entièrement. Elle y raconte son enfance difficile et la découverte du pays de son père en 1987, après son enfance au Ghana. Elle dénonce surtout le voile de silence qui entoure l’histoire du Cameroun, qui, pour elle, se confond avec son histoire familiale.
Jusqu’ici, les circonstances de la reddition d’Ernest Ouandié, exécuté à Bafoussam en 1971, restent floues. Et aucune plaque commémorative ne fait honneur à ces martyrs, présentés à l’époque comme des maquisards. Ernestine veut la vérité, pour pouvoir à son tour la transmettre à ses enfants. Car pour se projeter dans le futur, il faut pouvoir regarder son passé. « C’est difficile de savoir qu’on doit mourir deux fois. La première fois, la vraie, est suffisamment difficile à accepter. La deuxième mort, qui est le silence, ne nous mènera nulle part. Quand l’histoire sera écrite, les âmes errantes trouveront enfin la paix », dit-elle.

Ernestine Ouandié
Un matin d’octobre 2009, Ernestine Ouandié s’en est allé rejoindre ces âmes errantes. A ce moment-là, Jean-Marie Teno, qui l’a interviewé en 2004, pose un regard neuf sur ses confessions. « J’ai été tellement touché par son histoire, je ne savais pas quelle forme allait prendre ce film à ce moment-là. Dans cette interview, pendant un long moment, elle me parle de la métaphore de la feuille mais je ne comprenais pas. C’est quand elle est décédée que je me suis rendu compte que ça faisait sens. J’ai trouvé en elle une profondeur qui m’a fait penser que sa parole devra être portée», explique celui qui a écrit, réalisé et produit « Une feuille dans le vent ».
Kwame Nkrumah, le premier président du Ghana, disait déjà que « les conséquences socio-psychologiques de la colonisation sont bien plus importantes que les conséquences politiques car elles pénètrent en profondeur l’esprit des gens et sont plus longues à éradiquer ». Jusqu’à sa mort, Ernestine Ouandé a porté ce fardeau dans un pays où l’histoire de l’indépendance a toujours été éludée. Face à la caméra, cette femme belle, que l’on sent désespérément seule dans sa quête, réclame la justice de la vérité. Sa pensée est construite avec méthode. Sa voix et son regard sont chargés d’émotion. On la sent au bord des larmes, mais elle ne craque pas.

Pour mettre son histoire en perspective, Jean-Marie recourt aux images d’archives pour raconter la lutte pour l’indépendance. Il dresse ainsi un parallèle entre la vie d’Ernestine et celle du « Camarade Emile », son père. Les illustrations de Kemo Sambé permettent de combler les vides de l’histoire, de sortir le spectateur du visage d’Ernestine pour lui donner du répit. Le film tourné en anglais et sous-titré en français, est dédié aux enfants d’Ernestine : Boris, Ernesto et Helen.
Stéphanie Dongmo

Cinéma : black and white

« Siggil », du Français Rémy Mazet, tourné au Sénégal, a remporté l’unique prix du Festival du film de Masuku en août 2014 à Franceville au Gabon, le Prix du public. Il interroge la place de l’homme dans son cadre de vie, mais aussi les rapports entre l’humain et l’animal.


Lamine est vieux. Ses cheveux tout blancs le disent à suffisance. Ce matin, Lamine (El Hadj Dieng) se prépare pour aller à son travail. Dans sa petite chambre, il soigne son apparence devant un bout de miroir. Après quoi, il quitte son quartier populaire et traverse la ville pour se rendre dans un quartier chic où une femme l’attend. Son impatience, son statut de patronne blanche et l’amour qu’elle porte à sa chienne se comprennent au son de sa voix.
Lamine repart dans les rues de Dakar. Cette fois, avec une chienne, Agathe, qu’il doit promener. Pleine de vie et respirant la bonne santé, Agathe est aussi blanche que les cheveux de Lamine. Il l’amène chez le vétérinaire, au supermarché... C’est son boulot et Lamine y met du cœur. La journée semble se dérouler dans le calme. Le drame se noue quand Lamine perd la chienne.
Sa quête va alors le promener dans les rues de Dakar, que la caméra balaie en plans larges : les rues proprettes, la belle plage, mais aussi les coins mal famés. Lamine finit par atterrir à la grande décharge de Mbeubeuss, où des gens vivent dans des conditions qui auraient tout à envier à la vie d’Agathe.

« Siggil » interroge l’urbanisme et la place de l’homme dans son cadre de vie. Mais aussi les rapports entre l’humain et l’animal. Le président sud-africain, Jacob Zuma, l’a dit en 2012 : le fait de posséder un chien, de lui faire sa promenade, de l’amener chez le vétérinaire n’est pas africain mais fait partie intégrante de la culture blanche. Les moqueries des personnes que Lamine croisent lorsqu’il promène la chienne le redisent.

La sortie de Jacob Zuma avait été vivement critiquée, obligeant la présidence sud-africaine à atténuer ces propos en soulignant la nécessité de ne pas mettre l’amour pour les animaux au-dessus de l’amour pour les hommes. Le porte-parole du gouvernement, Mac Maharaj, avait évoqué l’exemple de « Sud-Africains qui sont assis avec leurs chiens à l'avant de leur camionnette avec un ouvrier à l'arrière sous une pluie battante».
Au final dans ce court-métrage de 20mn, on a deux réalités : le riche et le pauvre, le blanc et le noir. Avec d’un côté l’hégémonie culturelle et la domination, et de l’autre, l’aliénation et l’esclavage. Avec juste ce qu’il faut de civilisé. 
S.D.

Fiche technique
Scénario- Réalisation : Rémi Mazet
Production : Sacrebleu Productions
Pays : France
Date : 2010

Cinéma : A la limite des mondes visible et invisible

« Dankumba » a été présenté en ouverture du Festival du film de Masuku le 13 août 2014 au Gabon, et un hommage rendu à son réalisateur. Le Malien Bakary Diallo est décédé dans le crash du vol d’Air Algérie le 24 juillet à l’âge de 31 ans, en compagnie de son confrère camerounais Lorenzo Mbiahou.

 


Un arbre centenaire. Un village traversé par une route poussiéreuse. Des pieds d’homme. L’eau qui crépite sur le sol. Le sable qui vole dans le vent. Le bruit du rasoir qui tond une tête. Les incantations d’une mère... Le tout est un savant agencement de scénettes, de gestes, de lieux et d’images. Des cartes postales empreintes de beaucoup de poésie. Mais aussi de mysticisme.

Le court-métrage retrace, en quelque sorte, la journée presque ordinaire d’un homme, un traditionnaliste, dans un village ordinaire d’Afrique. Ainsi que les infinis croisements de destins qui forment une vie. Ses gestes sont méthodiques, son pas cadencé. Dankumba désigne un rituel accompli dans la région de Kayes, au Mali. Bakary Diallo en a fait le titre de son avant-dernier film. Il pose la question du sacré et des superstitions, à la limite des mondes visible et invisible.

Une scène du film
Car ici, tout est signe et symbole. Des sacrifices posés au milieu de la route et qui effraient les petits mendiants aux cheveux enterrés dans le sol, en passant par le traditionnaliste qui, à son réveil, prend le soin de poser sur le sol d’abord le pied droit, et seulement ensuite le gauche. Ces gestes partent des croyances répandues dans toute l’Afrique subsaharienne selon lesquels se lever du pied gauche gâche la journée, et que les sorciers peuvent atteindre une personne à partir de ses cheveux.

Même les bruits familiers comme le chant de petits mendiants ou le caquètement d’une poule semblent prendre, ici, une signification particulière. D’autant plus que le montage lent, réalisé par Bakary Diallo lui-même, assisté de Fréderic Dupont, finit de jeter le spectateur dans une ambiance initiatique. Pour un peu, on croirait replonger dans le poème « Souffle » de Birago Diop : « Ecoute plus souvent / Les choses que les êtres / La voix du feu s’entend / Entend la voix de l’eau / Ecoute dans le vent / Le buisson en sanglot… »

Bakary Diallo
En 12mn, le film parle peu mais dit beaucoup. Dans la dernière scène, le traditionnaliste remet à l’endroit un pied de sandale retourné avant de continuer sa route. Comme pour remettre une Afrique tourmentée sur le droit chemin. Un chemin qui serait l’animisme ? « Dankumba » est sorti à la vielle de la crise au Mali, menacé par l’intégrisme religieux. Qui est encore le sort de bon nombre de pays africains.

Prix « Les amis du Fresnoy », Studio national des arts contemporains de Tourcoing en France en 2011, « Dankumba » prédisait à Bakary Diallo un brillant avenir cinématographique. Le destin en a décidé autrement.
Stéphanie Dongmo

Fiche technique
Scénario-Réalisation : Bakary Diallo
Production : Le Fresnoy
Pays : Mali
Année : 2011

dimanche 7 septembre 2014

Livre : Les confessions de Valérie Trierweiler

Le dernier épisode du feuilleton à l’eau de rose à l’Elysée s’intitule « Merci pour ce moment ». Le brûlot de l’ex-première dame de France, écrit dans la douleur et la colère, est la vengeance d’une femme qui refuse de souffrir en silence. Au banc des accusés, un François Hollande au plus bas des sondages, présenté comme un homme politique peu fiable.

 
En janvier 2014, le Président français, pris la main dans le sac de l’infidélité, avait mis fin à sa vie commune avec Valérie Trierweiler en 18 mots glacés saisis dans un communiqué à la presse. Obligeant ainsi celle qui était première dame de France à sortir de l’Elysée par la petite porte. Pour panser ses plaies, Valérie Trierweiler a eu besoin de 130 pages de texte. L’humiliation ayant été publique, la réparation se devait de l’être aussi. Son ouvrage intitulé « Merci pour ce moment » est sorti le 4 septembre dernier aux éditions Les Arènes.

En fait d’ouvrage, c’est une longue lettre ouverte adressée à François Hollande. Elle lui dit « merci pour ce moment, merci pour cet amour fou, merci pour ce voyage à l’Elysée ». Mais surtout « merci pour ce gouffre dans lequel tu m’as jeté » après une rupture brutale et injuste. Nul doute en lisant ce livre écrit avec des larmes que la blessure est encore saignante, la colère vivace, la rancune tenace. Valérie Trierweiler est à terre. Comment pouvait-il en être autrement ? «J’ai été jetée à la face du monde comme un mouchoir usagé (…) En quelques heures, ma vie a été dévastée (…) Je me suis retrouvée seule, étourdie, secouée de chagrin. Il m’est apparu comme une évidence que la seule manière de reprendre le contrôle de ma vie était de raconter», écrit-elle.

Mégère, briseuse de ménage, Première pute de France, First girlfriend, cocue de la République… Depuis l’accession de François Hollande à la magistrature suprême, les qualificatifs pour désigner son ex-compagne sont nombreux. Nés du sentiment d’illégitimité qu’elle renvoyait dans son rôle de Première dame. Illégitime parce qu’elle a été à l’origine de la séparation entre Hollande et la mère de ses quatre enfants, Ségolène Royal. Illégitime parce qu’elle n’était que la petite amie et pas l’épouse. Illégitime enfin parce qu’elle entre à l’Elysée en portant le nom d’un autre homme, son ex-mari.
Valérie Trierweiler n’avait certainement pas les épaules assez larges pour le rôle de première dame. Sa jalousie maladive, sa manière de se couper du monde à chaque tempête, de ramener tout à elle alors que c’est du destin d’un pays qu’il s’agit, l’ont desservi. Pour autant, elle reconnaît sans peine ses défauts et ses erreurs. Pour autant, elle ne méritait pas de payer pour un crime dont elle était pourtant la principale victime, l’infidélité d’un président de la République devenu banal, à force de vouloir être normal.

« Le silence de l’être aimé est un crime tranquille ». Cette citation de l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun ouvre les confessions de Trierweiler. Née d’une famille modeste, journaliste politique, mariée deux fois, divorcée deux fois, mère de trois garçons, devenue première dame sans y être préparée. Un rôle indéfini et sans statut officiel dans lequel elle a eu du mal à trouver sa place. Ses faits d’armes, en 20 mois à l’Elysée, sont quelques actions humanitaires qu’elle continue à mener malgré sa répudiation. Une bien maigre contribution qu’elle a besoin de souligner, tant ses actions sont passées inaperçues.

Sur le plan sentimental, ce livre est un mélange d’amour et de haine d’une amoureuse en puissance, comme on peut en trouver dans un Guy des Cars. Sur le plan politique, c’est une attaque frontale contre Hollande, le président le plus impopulaire de la 5ème République. Celle qui a partagé sa vie durant presque neuf ans le décrit comme quelqu’un qui n’aime pas les pauvres qu’il appelle « les sans-dent », et ne supporte pas les handicapés. Un homme froid, calculateur, « le roi du double discours, de l’ambiguïté et du mensonge permanent » traitant ses collaborateurs avec mépris. Un homme politique qui ne sait plus où est sa gauche.
Le  désir de vengeance de Valérie Trierweiler transparaît dans chacune de ses phrases. Elle y ajoute de la mauvaise foi lorsqu’elle jette sur la place publique des conversations privées qui mettent en cause la sincérité politique du président. Le fait de dire « est-ce moi qui ai commencé ? » ne la dédouane pas de ce déballage public dont on se serait bien volontiers passé. Car ni elle, ni Hollande n'en sortent grandi. Mais la coupe étant versée, il faut la boire jusqu’à la lie. Au passage, elle réalise un joli coup commercial et s’assure un revenu substantiel, elle qui craignait la précarité à son départ de l’Elysée. Tiré premièrement à 200 000 exemplaires, « Merci pour ce  moment » a été épuisé en quelques jours dans les librairies. Le style est simple et digeste pour raconter la fin d’une relation qui aurait été banale si les protagonistes n’étaient des célébrités.

En commettant ce livre alors que Hollande se fait pressant pour la reconquérir et lui propose même de l’épouser, Valérie Trierweiler sait que le retour ne sera plus possible. Sans doute parce qu’elle sait, au fond d’elle-même, que cette promesse, comme beaucoup d’autres, ne sera pas tenue.  Ce livre-évènement nous donne, au final, une belle leçon de vie: on devrait mettre autant de soin à rompre qu’on a mis d’intensité à aimer.
Stéphanie Dongmo