mardi 26 mai 2015

Secteur musical camerounais : Les droits d’auteurs sont-ils l’unique priorité ?

Texte d’opinion proposé par Luc YATCHOKEU, Président du Conseil Camerounais de la Musique. Il élargi la réflexion sur la bataille autour du droit d’auteur de l’art musical camerounais dans le but de donner à la musique les moyens de contribuer véritablement au développement. 

Luc Yatchoukeu, photo Mboa.info

 Depuis plusieurs décennies, le secteur de la musique au Cameroun connait des secousses dues essentiellement aux problèmes liés aux droits d’auteurs. Toutes les fois qu’il y eu une véritable crise au sein de la famille musicale camerounaise, il ne s’est agit que des droits d’auteurs. Ce qui a engendré la création de plusieurs structures de gestion, de la SOCADRA à la SOCAM, en passant par la SOCINADA et la CMC. Aujourd’hui on entend encore parler d’une nouvelle société dénommée SOCACIM, qui connaît déjà des perturbations (agrément annulé par le PM).

Curieusement, au fil des ans on retrouve pratiquement les mêmes acteurs autour de cette question, avec de temps en temps quelques apparitions sporadiques de personnes intéressées soit par opportunisme, soit par passion ou par désir de contribuer à l’assainissement des droits d’auteur pour l’amélioration des revenus des artistes et autres producteurs. La plupart des acteurs logés dans cette dernière catégorie ont quitté ce panier à crabes.

Certains opérateurs camerounais ont pris la peine de produire des guides sur les droits d’auteurs. Une façon pour eux de contribuer à l’éclairage des artistes et de l’opinion, et lever certaines incompréhensions. Malheureusement les parties prenantes ne se sont pas arraché ces publications. Même les formations sur les droits d’auteurs initiées à une époque à l’attention des artistes n’étaient pas très courues.

L'argent, seule motivation
On est donc en droit de se demander quel est l’intérêt des uns et des autres à se déchirer depuis la SOCADRA pour les droits d’auteurs, et particulièrement en ce qui concerne la musique ? La réponse est bien sûr évidente : l’argent généré par les droits d’auteur reste la seule motivation pour tous. Les artistes (même ceux qui ne sont pas présents sur le marché) veulent avoir leur part, chacun utilisant l’argument qui lui est favorable. Ceux qui ont été les plus rusés et qui se sont positionnés depuis quelques années comme leaders ou têtes de proue, multiplient chacun sa stratégie pour le contrôle du pactole. Tout y passe. Même la justice, saisie par les uns et les autres semble embourbée.

Que retient l’opinion publique ? Les musiciens sont des désordonnés et des incapables, la musique est une affaire de voyous etc… Personne ne voit en quoi la musique peut contribuer au développement socioéconomique de notre pays. Très peu comprennent que la musique est une activité qui génère plusieurs emplois à travers ses différents métiers. Et pourtant, tous écoutent la musique, se servent de la musique pour telle ou telle occasion. Paradoxe.

Un concert de musique.

Le Cameroun est un véritable vivier musical et cela n’est un secret pour personne. Voila donc un secteur, levier de développement qui est totalement discrédité et qui perd toutes ses armes à cause de la bagarre autour des droits d’auteurs et des droits voisins.
Si nous convenons que les droits d’auteurs ne relèvent pas seulement de la musique, il est encore plus important de comprendre que sans la création on ne parlera pas des droits d’auteurs.
Aujourd’hui  on entretien une grosse confusion entre la musique qui relève de la culture, et les droits d’auteurs qui relèvent de la propriété intellectuelle.
Et l’Etat dans tout cela ? Je ne voudrais pas m’attarder sur l’implication du Ministère des Arts et de la Culture dans la gestion des droits d’auteurs, ni sur l’intervention du Premier Ministre qui a souhaité mettre sur pied un comité ad hoc. Chaque observateur peut se faire son opinion. Mais je m’interroge sur la démarche du Gouvernement en la matière.

Mauvaise gestion des fonds 
Il est clair que tout ce qui fait problème c’est la mauvaise gestion des fonds générés par les droits d’auteurs, ainsi que les détournements opérés de part et d’autres. Tout cela au détriment des artistes qui sont à la base de ces fonds. Qui sont les mauvais gestionnaires ? Qui sont les voleurs ? Pourquoi personne n’est puni à ce jour? Est-ce par mépris pour les artistes (pour la plupart clochardisés aujourd’hui) que ce secteur tarde à être assaini? Que vont apporter ces personnes sollicitées soit par le comité ad hoc, soit pour diriger une nouvelle société et qui pour la plupart tournent autour des droits d’auteur depuis plusieurs années?

Soyons un peu plus conséquents : tant que les personnes ayant contribué à déstabiliser les droits d’auteurs ne seront pas tous punis, il ne sert à rien d’avancer. Avis à qui de droit. En attendant de voir quelles seront les solutions proposées par le comité ad hoc, pensons à donner à la musique les moyens de contribuer au développement de notre pays.

On voit bien les fruits que portent les soutiens apportés dans d’autres secteurs comme l’agriculture.
Savons-nous que le Nigéria explose aujourd’hui grâce à l’encadrement apporté à la musique et au cinéma ? Savons-nous que la musique contribue à plus de 40% au budget de la ville de Vienne ? Cela ne se fait pas sans investissement dans ce secteur (plus de 30 concerts par jour). 60% de touristes visitent la ville de Vienne grâce à la musique (selon les autorités de cette ville). Pouvons-nous mesurer l’immensité du patrimoine musical camerounais riche de plus de 200 rythmes ? Savons-nous qu’après l’Asie, l’Afrique est aujourd’hui le nouvel eldorado pour les professionnels de la musique enregistrée et de l’édition musicale ? Universal est déjà installé à Dakar, le service de musique en ligne Deezer, iTunes (bibliothèque multimédia numérique) et bien d’autres structures de la « music business » sont présents. Le Cameroun se dotera-t-il des moyens pour en profiter ?

Il y a urgence à structurer le secteur musical camerounais, au lieu de s’attarder à gérer uniquement les conflits liés aux droits d’auteurs et occasionnés par des intérêts égoïstes. Comment permettre aux jeunes camerounais d’accéder à la formation musicale dans des meilleures conditions ? Comment proposer les produits musicaux (disque et spectacles) de qualité ? Comment permettre au public camerounais de mieux consommer nos musiques ? Comment envisager l’exportation de nos musiques ? Voilà entres autres des préoccupations qui devraient interpeller tant la communauté musicale que le Gouvernement et même les collectivités territoriales.

Implication des initiatives privées 
Des initiatives privées (soutenues ou non par le MINAC) existent de part et d’autres dans tous les domaines (création, formation, production, diffusion…). Cela mérite d’être pris en compte et encouragé. Entrepreneuriat musical peut être une réalité chez nous. Avis au Ministère du commerce et au Ministère des petites et Moyennes Entreprises. Au Cameroun, il y a des talents et de l’expertise utiles pour l’éclosion du secteur musical. Chacun doit avoir de l’espace pour jouer sa partition, reste au Gouvernement à donner le rythme. Une réflexion plus élargie mérite d’être menée pour trouver des solutions adéquates.

Le Conseil Camerounais de la Musique a engagé pendant des mois un programme dénommé « Causeries musicales », ayant pour objet de débattre une fois par mois autour d’un thème actuel et recueillir les propositions et recommandations des acteurs de la filière musicale. Ce programme ayant eu pour unique soutien concret  l’Institut français du Cameroun à Douala (mise à disposition de la salle et de la technique + appui à la communication) s’est malheureusement arrêté au bout de 20 éditions, faute de moyens suffisants. Quel gâchis.

Les modèles économiques utiles aux musiques d'Afrique 
Le Conseil International de la Musique (CIM) sur suggestion motivée du Conseil camerounais de la Musique avait tenu pour la première fois en Afrique une réunion de son Bureau Exécutif à Douala en novembre 2010. Cette réunion s’était tenue en marge de la cinquième édition du Marché des Musiques d’Afrique « Le Kolatier 2010 ».  A cette occasion les membres du Bureau exécutif du CIM avaient rencontré Mme la Ministre des Arts et de la Culture pour une séance de travail, au cours de laquelle ils avaient manifesté leur volonté de mettre à disposition des expertises pour contribuer d’une manière ou d’une autre au développement du secteur musical camerounais. Cette main tendue n’a pas été encore saisie. Notons en passant que le CIM est une OING créée en 1949, et ayant (entres autres) pour objectifs de contribuer au développement et renforcement de relations de travail amicales parmi les cultures musicales de part le monde sur base de leur égalité absolue, respect mutuel et appréciation. Il compte les membres dans plus de 70 pays, dont le Cameroun. C’est l’organe consultatif de l’UNESCO dans le secteur musical.

En octobre 2015, Le Kolatier (Marché des Musiques d’Afrique) accueillera une rencontre autour des nouveaux modèles économiques utiles aux musiques d’Afrique. C’est encore le Conseil International de la Musique qui animera cette rencontre dans le cadre d’un partenariat lié au programme AMDP (African Music Development Program). La Secrétaire générale de cette institution sera présente. Et c’est une nouvelle opportunité à saisir.

Nous restons convaincu (Conseil Camerounais de la Musique) qu’un Forum sur la musique (en projet depuis quelques années) est nécessaire pour déblayer et ouvrir des pistes pour une meilleure prise en compte et un développement harmonieux du secteur musical camerounais.
Je n’ai pas la prétention d’avoir passé au scanner tous les problèmes inhérents au secteur musical camerounais. C’est simplement une contribution du Conseil camerounais de la musique, qui vise à élargir la réflexion à cet effet. 

Luc YATCHOKEU

Président du Conseil Camerounais de la Musique

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